29. Lever de soleil

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Lui

« L'heure la plus sombre est celle qui vient juste avant le lever du soleil »

Quand je suis sortis de cette boite à 5h du matin, mon corps s'est rendu de lui-même jusqu'à l'appartement de Clarisse et Alexandra. Ce n'est que devant la porte de l'immeuble que je me suis rendu compte d'où je me trouvais. J'avais un besoin incontrôlable de la voir, elle, le fantôme qui hante mes nuits. Je lui ai envoyé un message au numéro que j'avais réussi à récupérer chez Mia, pensant ne jamais avoir de réponse. Mais quand mon téléphone a finalement vibré je n'ai pas pu m'empêcher de me faufiler à travers la porte qu'un voisin avait dû mal fermer. J'ai tambouriné à la porte de son appartement jusqu'à ce qu'elle m'ouvre et quand ses yeux sont apparus dans l'entrebâillement de la porte, mon cœur a eu un raté. Merde, c'est à ce moment-là que j'ai compris que ça ne tournait pas rond chez moi.

Elle m'a regardé d'un air las avant de m'envoyer mes quatre vérités en pleine tête. Je n'ai rien répondu, bien conscient que j'avais agi en parfait connard. Son regard blessé m'a transpercé de part en part et je n'ai qu'une envie, qu'elle me suive pour que je lui explique mon histoire. Je l'ai vu peser et le contre avant d'accepter. Le trajet jusqu'à mon sanctuaire s'est déroulé dans un silence de mort. Elle s'est endormie au bout de 30 minutes et j'ai roulé en dépassant largement les limitations, l'esprit en ébullition. Conduire a au moins eu le mérite de m'empêcher de poser ma main sur sa cuisse pour sentir sa chaleur alors qu'elle s'était recroquevillée sur le siège chauffant.

Je l'ai réveillé en arrivant sur le parking a côté du cimetière militaire qui surplombe Omaha Beach. Elle a semble reconnaitre les lieux, peut-être qu'elle aussi considère cet endroit comme un refuge, comme un endroit remplit de souvenirs. Quand nous sommes arrivés sur la plage encore déserte et plongée dans une quasi-obscurité je lui ai laissé le temps de souffler et moi aussi j'ai pris le temps de relâcher la pression qui m'habitait.

Lui raconter mon passé m'a demandé toute la force que j'avais. Lui expliquer à quel point j'avais été naïf et surtout irrespectueux m'a couté toute ma fierté. J'ai attendu qu'elle réplique quelque chose, qu'elle me dise que je n'étais qu'un connard insensible ou quelque chose dans le genre mais rien n'est venu. Mais ses yeux se sont voilés et j'ai pu y lire de la peine dans son regard. Ses petites mains se sont placées devant sa bouche pour masquer son expression mi choquée, mi incrédule.

J'ai su, en la voyant réagir ainsi qu'il fallait que je lui avoue ce que ma tête et mon cœur avaient décidé à propos d'elle.

Elle me regarde, interdite. J'ai l'impression de lui avoir mis une gifle tellement ses yeux sont agrandis par la surprise. Je ne dis rien, mais attrape ses mains alors qu'elle baisse les yeux.

- Clarisse, je ne te demande pas de me répondre. Je t'ai dit tout ça parce que j'estime que tu avais le droit de savoir. Tu n'es pas une fille naïve et certainement pas le prochain trophée ou je ne sais quoi. Je ne connais rien de toi et il me reste tout à découvrir. Mais dis-moi juste si tu penses qu'un jour tu pourras pardonner mes paroles ? je lui demande

La tête toujours baissée vers le sol, je la sens frissonner. J'espère sincèrement qu'elle a écouté tout ce que je viens de dire et que peut-être un jour elle comprendra. La Clarisse hargneuse d'il y a quelques heures n'est plus là, et c'est une femme timide qui se tient devant moi. Ma main droite glisse de ses doigts pour lui faire relever la tête. Mon dieu, ces yeux...

- Clarisse ?

- Peut-être qu'un jour tu auras mon pardon Hugo, mais pour le moment il faudra faire tes preuves... murmure-t-elle, sa voix se perdant dans le hululement du vent.

Elle semble exténuée, comme si elle portait un poids trop lourd sur ses épaules. J'aimerai l'en décharger, mais il faut d'abord que je me débarrasse de mes propres démons. L'entendre dire que peut-être j'ai une chance me réchauffe le coeur, et le corps. Tout n'est peut-être pas perdu pour obtenir ma rédemption.

- Viens, suis-moi.

Je lui prends la main et la traine à ma suite, je veux lui montrer une partie de moi que personne ne connait. Nous remontons le petit chemin et rejoignons la voiture. Sa main froide se réchauffe progressivement à mon contact et cela me fait du bien. Elle frissonne toujours en arrivant dans l'habitacle et je monte le chauffage après avoir démarrer. Le ronronnement de la mustang semble plaire à Clarisse, je la vois jeter un coup d'œil vers le tableau de bord.

- Tu aimes les voitures ? je lui demande

- Ford Mustang V8 GT BVM6 peinture bleu lune. Répond-t-elle avec un demi sourire

Je souris, amusé et agréablement surpris. Effectivement elle aime les voitures. Elles sont rares les femmes qui connaissent d'autre marques que Audi, BMW ou Porsche, encore plus celles qui savent donner le modèle exact d'une voiture. J'espère qu'elle aimera aussi l'endroit où je l'emmène.

- Tu as le permis ?

- Hugo, je vis à Paris mais je ne suis pas parisienne. Ma Volvo est restée chez moi, en Haute-Savoie.

Je ne relève pas sa remarque mais prend note. Elle vient de Haute-Savoie, les Alpes doivent lui manquer.

- Tu veux conduire au retour ? je lui demande

- Sérieusement ?

- Si tu ne me la crash pas, oui, sérieusement.

Je tourne la tête vers elle et croise ses yeux qui brillent. On dirait une enfant devant le Père-Noël. +1 Hugo. Les derniers kilomètres se font dans un silence apaisant. Elle a l'air ailleurs, perdue dans ses souvenirs, mais un petit sourire en coin étire ses lèvres.

Il est presque 8h30 lorsque nous arrivons au Haras. Le portail à détection s'ouvre en reconnaissant ma plaque d'immatriculation et Clarisse écarquille les yeux. Elle n'a pas l'air d'avoir compris ou nous nous trouvions. J'emprunte la petite route bordée par des immenses prés d'un vert chatoyant. Quelques chevaux broutent tranquillement en troupeau. J'arrête la voiture dans la cours intérieure du Haras en prenant soin de ne pas déranger les cavaliers déjà au travail dans la carrière.

Je sors de la voiture et contourne celle-ci pour ouvrir à Clarisse mais celle-ci est déjà sorti et se dirige vers les boxs de l'allée est. Je la suis d'un pas lent, souriant au passage à John, un cavalier américain, qui me regarde avec des yeux ronds. Je profite de ces quelques instants volés au temps pour enregistrer ce moment. Clarisse ne sait pas où elle est, mais cette écurie est mon sanctuaire et mon refuge quand la tempête fait rage dans ma vie. Je l'ai racheté au bord de la faillite il y a deux ans. Les anciens propriétaires, Firmin et Blandine n'arrivaient plus à subvenir aux besoins des chevaux et le Haras partait en morceaux. Après avoir planté Camille devant l'autel, j'ai roulé en ligne droite jusqu'à l'océan et c'est Firmin qui m'a trouvé assis dans le sable mouillé de Omaha Beach. Il s'est assis à côté de moi et m'a demandé ce que je faisais là. J'ai craqué et j'ai pleuré toutes les larmes de haine, de tristesse et de dégout que mon corps avait emmagasiné. Ce soir-là, cet homme a changé ma vie. Il m'a ramené chez lui, m'a présenté à sa femme et le couple m'a considéré comme leur fils. Cet endroit est chez moi, mon vrai chez-moi.

Firmin et Blandine m'ont adopté et après avoir soigné mon coeur et mon âme ils m'ont littéralement sauvé. Ils sont chez eux, et ils sont ma maison. Emmener quelqu'un ici est une première pour moi, mais au vu du sourire de Clarisse, cette première est une réussite. Bienvenue chez moi, ma belle inconnue.

Dare or not ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant