28. L'air du large

7 2 0
                                    

« Ses poumons autant que son cœur avaient besoin de respirer l'air du large »

Je sors dans le froid d'un matin de novembre, il n'est même pas 6h et la nuit est encore bien installée sur la capitale. C'est encore calme et je savoure ce moment. Le samedi il y a moins d'agitation, j'essaye de m'imprégner de cette quasi sérénité. Parfois ma Haute-Savoie natale me manque, le calme, les montagnes, l'air pur. Paris est une fourmilière qui s'active en permanence, me laissant rarement le temps de souffler.

Le froid fait rougir mes joues tandis que je suis Hugo jusqu'à une magnifique Mustang bleu nuit. Je m'imagine au volant de cette merveille, mon rêve. Il ouvre la portière passagère, m'invitant à monter. Je me dépêche de rejoindre l'habitacle ou la température est nettement plus agréable qu'à l'extérieur. L'hiver sera froid cette année, la température extérieure est déjà passée sous la barre des 5 degrés. Il s'installe à mes côtés et démarre sans un mot. Il emprunte l'autoroute, puis le périphérique et nous sortons de Paris. Je me demande où il nous emmène mais ne pose pas la question, j'ai trop peur de rompre ce silence. Il ne parle pas et l'ambiance dans la voiture, bien que calme, trahit une certaine tension.

Il roule encore et encore, dépassant largement les limitations. Je finis par poser ma tête contre la vitre et m'endors, réchauffé par le siège chauffant. Je rêve, chose qui n'est pas arrivée depuis longtemps. Ce n'est pas un cauchemar, juste un rêve étrange ou des yeux verts aussi sombres qu'une forêt me hantent. D'un toucher aussi léger qu'une plume, d'un sourire éblouissant. Mon rêve est agréable, reposant. J'ai l'impression de retrouver mon chez-moi.

Je sens une main me caresser la joue, mon cerveau fait directement le lien avec Louis, non il ne peut pas être ici, c'est un cauchemar. Mon corps se fige.

- Clarisse, ce n'est que moi, réveille-toi, nous sommes arrivés.

La voix d'Hugo me rassure instantanément, ce n'est que lui. J'ouvre péniblement les yeux et me tourne vers lui. Un petit sourire étire ses lèvres, alors que mes yeux bouffis de sommeil peinent à retrouver une vue nette.

Je tourne la tête vers le pare-brise et ce que je vois m'émerveille. Du bleu à perte de vue, l'océan s'ouvre devant moi. Je suis fascinée, le ciel encore sombre laisse entrevoir l'horizon. Le jour n'est pas encore totalement levé mais cette semi-clarté est magique.

- Tu viens ? me demande Hugo en sortant de la voiture

Je resserre ma veste et mon écharpe autour de mon corps et sors de la voiture. Les embruns marins me chatouillent le nez et le vent fait voler mes cheveux. Je suis Hugo qui s'avance en direction de l'étendue bleue. Je reconnais l'endroit, Omaha Beach, plage du débarquement. J'étais venu ici avec mes parents, petite. Passionnée d'histoire j'avais adoré écouté parler mon père du débarquement. Sa passion pour l'armée et la Seconde Guerre Mondiale s'était infiltrée dans mes veines. Aujourd'hui encore j'adore tous ce qui traite de ce sujet. Je souris en me remémorant ces souvenirs. Le cimetière militaire doit être quelques mètres à notre gauche mais Hugo m'entraine vers le chemin qui serpente entre les arbres. Ce chemin aussi je le reconnais, il descend en pente douce jusqu'à la plage.

Le vent fait bruisser les arbres mais je profite de ce moment, loin de Paris et de l'agitation. A cette heure-ci la plage est déserte et seuls quelques cavaliers de course osent s'y aventurer. J'aimerai pouvoir enlever mes chaussures et sentir le sable sous mes pieds, mais le froid de ce mois de novembre m'en dissuade vite.

Hugo est quelques mètres devant moi et je me surprends à le détailler. Son blouson aviateur semble avoir vécu mille vies et ses cheveux foncés sont décoiffés à cause du vent. Les mains dans les poches il renvoie un air de mauvais garçon de séries américaines. Il s'arrête soudainement face à l'océan. Je le rejoins, le regard porté au loin. Je ne dis rien, l'instant est trop précieux. Le temps semble s'être arrêté, j'aimerais que ce soit le cas.

-Je ne pensais pas ce que j'ai dit au gala Clarisse.

- Mais tu l'as dit Hugo, les paroles lancées ne peuvent pas être récupérées.

- Je le sais, et je le regrette. Je suis un gros con, ça aussi je le sais. La seule raison pour laquelle j'ai pu dire des atrocités comme ça, est que j'ai peur.

Je ne réponds pas, trop choquée qu'il puisse m'avouer cela. Lui peur ? Son air arrogant prouve pourtant le contraire, mais à cet instant il ressemble à un petit garçon perdu.

- J'ai peur, même si tu penses que je ne suis qu'un égoïste arrogant. J'ai aussi un passé, surement moins douloureux que le tien, mais il est quand même là et j'ai du mal à m'en défaire.

Doucement, il se tourne vers moi et ses yeux me happent. Son regard est emplit de nostalgie et de tristesse. Je sens qu'il va se confier à moi, et je ne sais pas si je suis prête à porter un autre passé sur les épaules. Le mien pèse déjà trop lourd.

- Je suis sorti avec une fille, j'étais jeune, j'étais amoureux et j'étais l'héritier d'Austen Technology. J'avais tout pour moi et je l'avais elle. Camille. Elle était mon soleil et ma lune, elle brillait comme un soleil d'été, elle était tout pour moi. Je l'ai rencontré à un gala de charité de mon père. J'ai renversé mon verre sur sa robe, elle m'a lancé un regard mauvais avant d'éclater de rire. Sur le coup je n'ai rien compris, et puis d'un coup c'est comme si mon monde s'était résumé à elle, je voulais entendre son rire tous les jours. J'avais 22 ans, nous sommes sortis ensemble pendant 3 ans. C'était beau, comme si elle était faite pour moi. Je l'ai demandé en mariage, sur de moi. Maxence ne l'était pas lui et me disait que c'était trop tôt, que j'étais trop jeune. Mais je ne l'ai pas écouté, je n'ai écouté personne d'ailleurs...

Ses mots résonnent en moi en écho, son histoire n'est pas si différente de la mienne jusqu'à présent. Rencontrer quelqu'un, en tomber amoureux, vouloir passer le reste de sa vie avec... Les coups et les pleurs en moins.

- Et elle a dit oui, j'étais l'homme le plus heureux du monde. Nous avons trouvé une date pour le mariage, le plus rapidement possible. Mais un soir je suis rentré plus tôt, elle était là, mais avec un autre homme. Qui ? je murmureMon ami d'enfance, Gabriel. Nous étions un trio, lui, Sasha et moi. Inséparables, on nous appelait les trois mousquetaires. Manque de bol je suis arrivé alors qu'ils venaient de finir leurs affaires, ils ne m'ont pas entendu rentrer. Et je les ai écoutés parler pendant presque une demi-heure avant qu'ils décident de remettre le couvert. Camille parlait de moi comme son pantin, qu'elle ne m'aimait pas, qu'elle ne m'avait jamais aimé d'ailleurs. Et Gabriel crachait son venin, pour lui je n'étais qu'un insecte à écraser. Je ne méritais pas mon poste, ni ma famille, ni rien. Il a ajouté que si je savais que ma fiancée et mon meilleur ami couchaient ensemble, j'allais forcément vouloir me suicider, faible que j'étais. Ils me considéraient comme de la vermine. J'étais trop jeune, trop naïf pour eux. Ils ne me connaissaient pas vraiment.

Mes mains se placent automatiquement devant ma bouche, choquée par la suite de son histoire. Comment peut-on faire ça à son ami ? Il faut être totalement tordu, mais après tout, il faut l'être aussi pour battre une femme.

- Je suis reparti sans un bruit, et j'ai attendu jusqu'au jour du mariage. J'avais un besoin de vengeance incontrôlable. Quand le prêtre a posé la question cruciale, j'ai juste répondu non. Je l'ai humilié devant sa famille, ses amis mais surtout j'ai demandé à Gabriel si pour le coup il ne voulait pas prendre ma place. Les deux sont devenus livides avant que Camille ne se mette à rire, pensant que c'était une farce. Alors j'ai tout déballé et les ai plantés là. Je ne suis pas très fier de ce que j'ai fait, c'était bas, j'aurai pu simplement la quitter quand je les ai surpris mais non, j'avais ce besoin de me venger. Ma famille ne m'a pas revu pendant 3 mois, j'avais besoin d'être loin, d'être seul. C'était il y a 3 ans.Je suis désolée...Tu n'as pas à l'être Clarisse, c'est moi qui suis désolé de t'avoir blessée. Je n'ai aucune excuse valable, à part cette explication. Depuis elle, je me protège, je ne veux plus de ça. Mais tu as ravivé quelque chose en moi et ça me terrifie.

Je le regarde, interdite. Ses mots me percutent, lui aussi a ravivé quelque chose chez moi et cela me terrifie. Je ne veux pas être une autre conquête et je ne veux pas non plus revivre ce qu'il m'est arrivé. J'ai mis trop de temps à me reconstruire pour de nouveau être détruite. Mais tout chez lui m'attire, et depuis Louis ça ne m'était plus arrivé. Mon cœur, mon corps et mon cerveau se livrent une bataille sans merci, à savoir maintenant lequel prendra le dessus.

Dare or not ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant