Le lendemain, dans la cour du lycée, Jordan me suit. Il m'interpelle, mais je m'en fiche. Je continue mon chemin vers la sortie bien décidée à l'ignorer. Mais plus rapide que moi, il me rattrape et me regarde avec un rictus pervers :
- Étrange tout de même, Gladysse et Nathan absents tous les deux le même jour. La nuit a été longue ? Moi qui pensait qu'il n'avait aucun talent... Comme quoi les apparences sont trompeuses...
Ma main me démange, je ne sais pas ce qui me retient. Je tente tant bien que mal de ne pas flancher et faire comme si ses paroles ne m'atteignaient pas. Pour mon plus grand bonheur, j'aperçois ma sœur au loin qui sort du lycée. J'en profite pour la rejoindre. Inquiète de rentrer seule, je lui demande si je peux l'accompagner. Elle accepte sous mon regard suppliant. Mathilde attrape mon poignet et presse le pas quand elle voit Jordan approcher. On arrive enfin à le semer qu'une dizaine de minutes plus tard. Nous avançons dans la bonne humeur. Je ne peux cependant m'empêcher de me retourner constamment. Puis je m'aperçois que nous ne sommes pas en direction de la maison. Je reconnais vite le chemin de l'hôpital. Je ne dis rien et suis Mathilde. Je ne peux pas faire demi-tour, je ne veux pas rentrer toute seule. J'ai trop peur pour ça. Elle a prit de l'avance et comme terrifiée je la rejoins à la hâte. Elle perçoit mon trouble et saisi ma main comme pour me donner du courage. Je lui en suis très reconnaissante. Nous échangeons un sourire et reprenons notre marche vers le bâtiment qui se dessine peu à peu au loin. Lorsque nous atteignons le service de pédiatrie, je vois Jade vêtue d'un jean et d'un tee-shirt, elle a le visage fatigué. Elle enfile une veste ; elle va sortir aujourd'hui je pense. Mathilde lui saute au cou et elle nous rassure :
- Ce n'était rien qu'une petite baisse de tension. Je suis sur pieds et je peux rentrer.
Elle me regarde avant de continuer :
- Par contre Nathan a très mal géré le stress. Le médecin veut le garder encore un peu.
- Je peux lui parler ?
- Pas pour le moment, il dort.
Je baisse les yeux. Son regard ne trompe pas. Celui de la soeur protectrice. J'ai le même avec Guillaume. Je sais qu'il ne dort pas vraiment et qu'elle ment pour lui. Jade me prend par les épaules et me chuchote :
- Ça va aller...
Son ton n'est pas assuré. Comme si elle doutait autant que moi de son état. Tandis que ma sœur et sa meilleure amie quitte les lieux sans me porter réelle attention, je sors à mon tour et me rend à la boulangerie du coin. Je choisis la viennoiserie préférée de mon petit frère et la dévore en prenant le chemin dans l'autre sens. J'adore faire ça. C'est idiot mais j'aime savourer ce que mon frère adore. Je remonte les marches, traverse le couloir pour entrer dans sa chambre. Il a vraiment l'air endormi. Je m'assois à son chevet sans le quitter des yeux. Sa mère nous rejoint. En temps normal, elle aurait sauté de joie de me voir. Mais là, c'est loin d'être le cas. Cela dit, elle ne prononce mot. C'est moi qui brise le silence :
- Vous avez déjà obéi à votre fils ?
Elle me fixe attentivement et incline sa tête de gauche à droite en signe de réponse. Elle a les yeux rouges, elle a dû beaucoup pleurer. Cela m'inquiète d'autant plus sur l'état de son fils. Je continue :
- Alors, pourquoi commenceriez-vous aujourd'hui ?
Elle se joint à moi et s'assoit sur le fauteuil libre. Elle reste muette. Je perds patience :
- J'ai le droit de savoir ! Je suis sa meilleure amie, bon sang !
Elle jette un œil à son enfant pour s'assurer qu'il dort bien. Puis elle replonge ses yeux dans les miens :
- Tu es tellement plus que ça pour lui...
Nous discutons un long moment. Nous pleurons aussi une fois ou deux. Quand Nathan commence à émerger, elle quitte la pièce et nous laisse seuls en tête à tête. Son premier réflexe est de saisir la télécommande afin d'alerter les infirmières. Il me crie de sortir. Mais je reste, impassible. Je l'affronte. Aucun de nous deux n'a jamais gagné à ce jeu. Je tente une approche qui se veut calme :
- Je sais tout, ta mère m'a parlé.
- Tu bluffes ! SORS !
Une infirmière rentre dans la chambre. Il est d'une colère sans égale. Je sais ce qu'il me reste à faire. Alors d'une voix tendre, je laisse échapper la vérité :
- Je t'aime Nathan.
Il me regarde intensément. Ses yeux devenus noirs, reprennent leur couleur initiale. Ce gris intense qui m'a toujours fasciné. Il indique à l'infirmière que tout va bien. Il ne prend la parole que lorsqu'elle a quitté la pièce :
- Heureux de te l'entendre dire. Mais il est trop tard. Je te demanderais donc de quitter cette pièce et ma vie au passage, s'il te plaît.
Je m'avoue vaincue et saisissant mes affaires, je lui lance :
- Ta mère ne t'a pas obéi, elle n'avait pas à le faire. Je sais que tu vas t'en sortir, alors pourquoi me rejeter quand je te dis que je t'aime ?
Je quitte la pièce sur cette question. Il me demande de revenir. Mais comme il l'a dit, il est trop tard. Pour aujourd'hui en tous cas. Je l'ignore. Comme j'ignore Mathilde qui m'attend sur le perron de la maison. Je ne le fais pas volontairement. J'avance vers ma chambre comme un robot. Je réalise que c'est fini. Quelle idiote ! Rien n'est fini puisque rien n'a été commencé. Mathilde me suit dans la maison silencieuse à cette heure-ci. Quoique je n'ai aucune idée de l'heure qu'il peut être. Je rentre dans ma chambre et, sous la douleur qui m'assaille, je tombe à genoux sur le sol. Mes pleurs sont intarissables. Ma sœur s'accroupit à mes côtés et me prend dans ses bras. Je la serre fort. J'ai besoin d'elle. Je ne trouve pas la force de travailler. Mais il le faut, je me lève. Mathilde m'arrête, me dévie et m'allonge dans mon lit. Elle descend, reste vague et réussit à convaincre ma mère de me faire un mot pour le lendemain. Elle me rejoint un peu après et m'embrasse le front. Je n'ai jamais été très proche de ma mère. Mais ça ne m'empêche pas d'apprécier sa protection quand elle est là. Je lui souris et elle éteint la lumière en sortant.
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Mon meilleur ami, mon frère, ma demie soeur
Roman pour AdolescentsGladysse, stéréotype cliché de l'élève parfaite. Nathan, stéréotype cliché du beau gosse populaire. Jordan, le cancre pervers qui se croit irrésistible. Nathan et Gladysse sont meilleurs amis depuis toujours. Gladysse maintient leur amitié secrète...