Il n'arrêtait pas de pleuvoir. Sans arrêt. Harry comptait les gouttes qu'il voyait s'écraser sur la vitre près de lui, en classe, qui donnait sur l'arrière du lycée. Il y avait cet arbre triste, là-dehors, cette grande route à double sens, cette longue ligne droite où les voitures filaient toujours plus vite qui ne leur était autorisé. Harry comprenait mal les gens pressés. Ils étaient pressés comme si on pouvait aller plus vite que le temps, plus vite que la vie elle-même. Il se disait qu'ils étaient stupides, mais lui aussi il courrait, en pensant être plus rapide que la vie. Les voix autour de lui n'existaient plus, il resserrait juste ses bras contre son torse, s'appuyant contre la fenêtre, les yeux sur l'horizon vide. Aussi vide que lui. Il sentait parfois un petit espoir naître, et son esprit était d'un coup imbibé de questions. Est-ce que quelque chose l'attendait vraiment quelque part ? Est-ce qu'il n'y a pas d'erreurs, et quand on naît, quelque chose nous est forcément réservé ? Et puis ce petit espoir s'éteignait très vite, en pensant ô combien la vie serait longue. Longue et triste. Le monde est grand mais pas assez. La Terre est ronde et trop vite on s'y retrouverait.
Louis est apparu, deux étages en dessous. Il fallait lever les yeux pour le trouver. Évidemment, qu'il le voyait. Il ne voyait que lui, ces derniers temps. La petite tâche rouge grandissait, qu'il ne le sente ou non. Il était là, sous la pluie, et pourtant toujours aussi beau. Le sac sur le dos, et cet imperméable jaune, dont la capuche lui arrivait presque sur les yeux quand il avait la tête levée. Il ne savait pas ce qu'il faisait là, seul, vers les grandes herbes protégés de deux bandes grises qui coupaient la circulation dangereuse. Il le regardait. Il se demandait.... S'il n'avait pas rencontré Louis, il aurait pu être son quelque chose. Son quelque chose qu'il attendait tant. Pour laquelle il aurait pu courir, plonger, brûler. C'était le seul à pouvoir le faire vivre durant une vie toute entière. Il l'aurait fait, pour le trouver. Mais il était là, et il savait que laisser ses yeux d'anges ici serait difficile, mais tellement soulageant. Il ne pensait pas qu'à lui, Harry. Il pensait à Louis. Louis qui était l'amour de sa courte de vie, mais lui n'était qu'un petit fragment dans la sienne. Et ses yeux bleus qui le regardaient, sa bouche qui lui souriait, ils avaient besoin de quelqu'un d'autre. De quelqu'un d'heureux et de bien vivant. Quelqu'un pour aimer regarder le ciel, écouter les oiseaux chanter, les fleurs pousser. Quelqu'un qui trouve que la vie est un cadeau, pas un cauchemar. Et en le regardant de sa fenêtre, le regardant sourire, étant la seule couleur qui existait à travers tout ce gris, il se disait qu'il était égoïste. Égoïste d'aimer autant l'embrasser, le faire rouler contre son corps, le sentir jusqu'au plus profond de son être. Le sentir tout entier, et peindre son âme aussi. Il aimait ça. Il l'aimait, lui. Et c'était terriblement égoïste de le garder si près, de l'embrasser, en sachant qu'il faudra l'abandonner. Et si l'amour était tout ce qui aurait pu rythmer sa vie, il disait ne pas le mériter. Harry ne trouvait rien d'assez bien parce qu'il voyait au delà de la vie. Louis, il résumait son monde à Harry, et rien qu'à lui. Louis contrastait son corps et contrariait son esprit. Il était resté là, à le regarder. Le regarder l'aimer de loin, là, en bas d'une fenêtre, parce qu'il en avait envie, surtout besoin. Il a suffit d'un message de Louis pour qu'Harry se lève pour sortir du cours, sous les remarques des autres et l'incompréhension du professeur. Ses pieds rapides sur les marches des escaliers résonnaient dans le bâtiment tout entier. Pour son plus grand bonheur, la grille était toujours à moitié fermée. Il fallait contourner le lycée et escalader ses murets interdits, se souvenant de l'endroit exact où Louis s'était tenu. Il le savait, alors pourquoi ne l'apercevait-il plus ? Il marchait plus vite, pour le trouver. Il était pourtant bien là. Oui, juste là. De l'autre côté de la route. Les pieds dansant sur les bandes grises, les bras dans le vide. Harry avait l'impression de s'y voir, de sentir le souffle des voitures si proches et si rapides. Il connaissait ce sentiment, autant que celui d'avoir la tête dans les nuages, et les pieds dans le vide. Sauf que c'était Louis. Son Louis, effrayé du danger. Louis qui pleurait quand il savait Harry en train de jouer à faire de telles folies. Il est monté sur cette barrière lui aussi, à l'opposé. Il n'avait pas peur. Du moins pas pour lui.
Je voulais savoir pourquoi tu aimais autant le faire. Lui confiait Louis, marchant en avant, puis en arrière, avec un équilibre incroyable. Il criait pour qu'Harry l'entende.
On pourrait jouer à un jeu. Avait-il poursuivit après qu'une rangée de voitures soient passées à toute allure.Ils n'avaient même pas le droit d'être là. Harry se disait que Louis jouait déjà, à faire l'oiseau alors qu'il tremblait comme une feuille. Et quand il s'est arrêté pour regarder Harry, ses yeux étaient noirs de peur. Harry aussi avait peur, maintenant. Il avait peur parce que le pied de Louis jouait à s'échapper, alors que cette voiture au loin, si vite, elle arrivait. Le vent avait tiré sa capuche de sa tête et emmêlait ses cheveux juste devant son visage. Les goûtes de pluies commençaient à dégouliner sur ses joues et partout ailleurs. Il aurait pu pleurer, ça ne se serait pas vu. Ça glissait de plus en plus, leurs jambes s'affolaient de ne pas pouvoir retenir leur corps, à l'un comme à l'autre.
Savoir que tu peux mourir te rappelle que tu es encore en vie. C'est pour ça, hein ? Le vent et la pluie l'aveuglaient et Harry sentait quelque chose dans sa gorge. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à avaler et l'empêchait de respirer.
T'as raison, on pourrait faire un jeu. Je compte jusqu'à trois, si tu m'aimes, tu reviens à moi. Harry voulait qu'il revienne de son côté maintenant, et ils pourraient marcher le long de cette barrière tous les deux autant qu'il voulait. Mais pas seul, pas là-bas, pas avec la pluie et ses bras loin de lui. Une voiture. Deux voitures. Trois voitures.Un ... Deux ... Il avait avait laissé le temps à la dernière paire de phares vue au loin de passer avant de crier trois. Louis était préparé, mais pourtant il n'avait pas sauté. Il n'avait pas couru. Et elle arrivait, ils l'entendaient et la voyait, dans tout ce brouillard. Harry comprenait quand viendrait letrois de Louis, et il hurlait de venir maintenant. Trois. Trois comme les trois pas qu'il a parcouru avant d'entrer en collision avec le corps de Louis, au milieu de la route, à un mètre seulement de la voiture qui zigzaguait déjà de panique. Et ils se sont retrouvés scellés l'un à l'autre, sur les lignes blanches, entre les deux voitures en horreur avec l'idée d'avoir percuté les jeunes garçons.
Harry sentait les palpitations de Louis, son souffle court dans son cou. Il le serrait tellement fort et se chuchotait qu'il était vivant. Parce que Louis devait vivre. C'était comme ça. Et il n'arrivait pas à lui hurler dessus, ou même à le détester d'avoir fait ça. Il aurait pu le briser entre ses bras tant il le serrait fort. Les larmes de Louis se mélangeaient à la pluie. Il serrait Harry lui aussi, comme s'il venait de le sauver à son tour.
Je ne veux pas que tu meurs autant que tu ne veux pas que je meurs. Et plus je te sens abandonner, plus mon coeur s'éteint. Il était temps de quitter cette route, et même cet endroit. Louis s'était écroulé avant, sur le sol boueux, pendant qu'Harry pansait ses mots avec des milliers de baisers.
Louis pleurait mais il avait réussi. Harry tremblait, Harry voyait, Harry comprenait. Quand il fermait les yeux, il imaginait le corps de Louis s'éteindre brutalement, emporté à une vitesse folle des mètres et des mètres plus loin, sur cette grande route. Louis était la vie, et jamais en lui il n'avait vu la mort. Tout ce qui était sombre en lui, venait d'Harry. Et ça le brisait, de comprendre que quelque chose en Louis avait changé. Qu'il avait aspiré ses couleurs, pour lui injecter des douleurs. Et si Harry était le soleil et Louis la lune, et qu'il ne brillait que dans son ombre ? Et si le bleu vivait pour s'éteindre, tout comme le noir le faisait, pour finir par s'éveiller, par éblouir ?
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je veux vivre
Hayran KurguRaconte-moi cette histoire du soleil qui aimait si fort la lune; celle où chaque nuit, pour elle, il se laissait mourir pour lui permettre de respirer.