Touffes d'herbes

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Été 1995

Dumbledore se pencha devant l'âtre de la cheminée, et envoya une poignée de poudre de cheminette avant de prononcer d'une voix distincte "Arabella Figgs". Il dut attendre un petit moment avant que la vieille cracmolle n'apparaisse.

- Albus ! Quelle surprise !

Le Directeur de Poudlard renifla d'un air agacé et se pencha un peu plus.

- Comment ça se passe avec le jeune Potter ?

La cracmolle eut l'air confuse. Puis elle laissa échapper un petit rire amusé.

- C'est un test Albus ?

- Arabella... Ai-je l'air de plaisanter ?

- Mais... Cette année le jeune Potter n'est jamais venu ici ! Je croyais que vous l'aviez envoyé chez les Weasley !

- Comment ça, jamais venu ? Mais il a pris le Poudlard express comme tous les ans !

- Et bien il a du aller ailleurs dans ce cas mon cher. En tous cas, je peux vous assurer qu'il n'a jamais mis les pieds à Privet Drive. Sinon le garçon serait déjà en train d'arracher les touffes d'herbe du jardin de cette pimbêche de Pétunia... comme tous les ans.

Albus sursauta et laissa échapper un juron. Il s'écarta de la cheminée et coupa la communication sans même saluer la vieille femme qui jouait le rôle d'espion depuis qu'il avait laissé le bambin sur le pas de la porte du numéro quatre.

Il n'ignorait rien des conditions de vie misérables du gosse, mais il avait occulté avec soin l'information. Il se moquait bien que Harry Potter soit heureux ou non, il voulait juste qu'il soit vivant et apte à se sacrifier pour le monde magique. En le rendant reconnaissant de ce qu'il avait à Poudlard, il serait prêt à tout pour les aider, y compris à donner sa vie.

Malgré la prophétie, le gosse n'était qu'un pion à ses yeux, un pion pour sa propre gloire. Le plus grand bien de Dumbledore n'était que pour son intérêt, rien de plus.

Ainsi, découvrir que ses plans soigneusement préparés s'effondraient devant ses yeux le rendait ivre de rage. Il tourna en rond quelques instants dans son bureau, marmonnant, puis il soupira et revint devant l'âtre. Il avança en lançant une poignée de poudre de cheminette et annonça distinctement "Le Terrier".

Il débarqua en pleine effervescence : Molly faisait la cuisine, Ron se disputait avec les jumeaux - qui apparemment avaient fait une farce à leur frère, Ginny boudait dans un coin tandis qu'Arthur lisait la Gazette, indifférent au désordre ambiant.

En le voyant, Molly s'essuya les mains sur son tablier et fronça les sourcils.

- Albus ? Un souci ?

Il eut un sourire bonhomme et la rassura d'un geste de la main.

- Tout va bien, Molly. Auriez-vous eu des nouvelles du jeune Potter ?

Ron se rembrunit immédiatement et quitta la pièce sous le regard désapprobateur des jumeaux. Ginny quand à elle leva la tête et fit la moue.

- Il ne répond même pas à mes lettres ! Je croyais qu'il m'aimait !

Immédiatement Molly se pencha vers le directeur.

- Il y a un problème avec Harry ?

- Non ! Bien sûr que non, Molly ! Vous me connaissez, je venais aux nouvelles, savoir comment il allait. Mais si vous n'avez pas eu de nouvelles...

Dumbledore échangea quelques banalités avec Arthur, salua Molly de nouveau puis quitta les lieux avec un sourire affable. De retour dans son bureau, il saisit le premier objet qui lui tomba sous la main et le lança avec force contre le mur, faisant s'envoler Fumseck. Le Phénix gonfla ses plumes et lâcha une trille indignée avant de disparaître dans une tornade de feu.

Avec un soupir, le Directeur reprit une poignée de poudre de Cheminette. Il restait un dernier endroit où le fichu gamin fugueur aurait pu se réfugier. Square Grimmaud, près de son repris de justice de parrain. Le fait que Sirius ait en réalité été reconnu innocent lui importait peu. Les témoignages de Remus et de Severus avaient permis la libération de Sirius, mais avec Pettigrew évadé avant l'arrivée des Aurors, il n'y avait pas eu de procès officialisant les choses.

Au square, il adressa une grimace au portrait de Walburga Black qui vociférait et parcourut le couloir sombre à grands pas, l'air sombre. Il se jura que si Sirius avait osé désobéir à ses ordres, il ferait en sorte de le renvoyer à Azkaban, séance tenante, innocent ou non. Il trouverait bien un moyen de s'en occuper sans que personne ne songe à protester. Il avait bien réussi à envoyer ce fichu cabot à Azkaban sans procès et à l'époque, personne n'avait tiqué. Il lui suffirait de souffler dans l'oreille du Ministre que sans Pettigrew entre leurs mains, ils ne pouvaient pas vraiment prendre de risques avec lui...

Cependant, Sirius n'avait pas de nouvelles de Harry lui non plus. Il s'était précipité sur Dumbledore en le voyant pour lui demander l'adresse des Dursley pour s'assurer que son filleul allait bien. Le Directeur le rassura d'un ton paternaliste, lui demandant de rester calme et lui rappelant qu'il était libre à condition de rester discret...

Après avoir rassuré l'héritier Black du mieux qu'il pouvait - et s'être assuré qu'il ne ferait rien de stupide - Dumbledore rentra à Poudlard à la fois furieux et désorienté. Harry Potter n'était nulle part.

Il marmonna en faisant des allées et venues, pestant contre les imprévus, contre cet enfant indocile qui semblait toujours attirer les ennuis.

Avec un soupir, il ouvrit un lourd grimoire et chercha le sort qu'il avait en tête. Puis lèvres pincées, il jeta le sort de localisation à plusieurs reprises. Sans pour autant obtenir de résultats.

Il serra les poings, peu habitué à l'échec. C'était incompréhensible : normalement ce sort aurait dû lui dire où était le gamin, où qu'il soit sur la planète. Sauf s'il était dans un endroit protégé et bardé de sorts de magie noire...

Dumbledore écarta la possibilité que Voldemort eut capturé l'adolescent : si le mage noir avait un tel avantage, il ne serait pas resté aussi calme. Il se serait immédiatement vanté de sa victoire pour anéantir le moral de la population sorcière et tenter de gagner une certaine légitimité.

Décidément quelque chose n'allait pas. Pas du tout. Il n'aimait pas ne pas savoir.

Le vieux sorcier se laissa tomber dans son fauteuil, les sourcils froncés : il allait devoir trouver une solution pour régler ce problème et surtout s'assurer que le jeune homme ne prenne plus de libertés comme il l'avait fait en refusant de se rendre chez les Dursley. Il n'avait aucun doute que Harry reviendrait à la rentrée, en septembre. Et il allait faire en sorte qu'il oublie ses velléités d'indépendance, il allait le ramener sous sa coupe en lui rappelant que ses amis et son parrain comptaient sur lui... Et qu'il serait dommage qu'un accident n'arrive à cause de ses lubies.

Avec un sourire satisfait, Albus Dumbledore prit un bonbon au citron et se laissa aller en arrière dans son fauteuil.

Apparences trompeusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant