Un sourire mauvais

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1995 - 1996

Voldemort était troublé. Voire plus que troublé. Et c'était inhabituel pour lui.

Il avait l'impression que sa vie - s'il pouvait appeler son état actuel une vie - lui échappait. Lui qui se vantait de son insensibilité, lui qui avait écarté les sentiments humains depuis bien longtemps, se retrouvait plongé dans un monde d'incertitudes.

Cependant, depuis qu'il avait été ramené à la vie par ce satané Pettigrew, et qu'il s'était retrouvé face aux Potter, il devait avouer qu'il n'avait plus aucune maîtrise sur son destin, ni même sur ses réactions.

Il avait accepté une trêve, alors que rien ne l'y obligeait. Il n'avait pas cherché à discuter. Il aurait pu ignorer la demande de l'esprit de Lily Potter, et se débarrasser de l'épine dans son pied qu'était Harry depuis qu'il était né. Cependant, son instinct l'avait retenu, pressentant qu'il devait éclaircir les choses avant d'agir. Il y avait quelque chose d'important dissimulé dans leur histoire commune, il en était persuadé.

Pour être honnête, en premier lieu, Voldemort avait imaginé une énième manigance du vieux fou Directeur de Poudlard. Il avait accepté la trêve proposée par un fantôme - quelles que soient les formes prises par les époux Potter - pour démasquer Dumbledore aux yeux du monde sorcier et le mettre enfin à terre.

Il avait déjà eu un aperçu de la vie de Harry Potter lorsqu'ils s'étaient trouvés face à face, quand il tentait de s'emparer de la pierre philosophale. Il avait ressenti de la compassion, mais il s'était efforcé de ne jamais y penser : il était loin d'être un poufsouffle sentimental.

Pourtant, il se sentait étrangement proche du garçon, peut être parce qu'ils avaient eu tous les deux des enfances compliquées. L'un était les ténèbres, l'autre la lumière... bien qu'ils soient semblables. Deux faces d'une même pièce.

Lorsque Rogue lui avait avoué sa trahison, il aurait pu le tuer - il avait tué pour moins que ça par le passé. Cependant il n'avait pas voulu perdre le maître des potions, sans vraiment savoir pourquoi. L'homme acariâtre avait cette façon de le défier en permanence, ne faisant au final que ce qu'il voulait.

Et puis, il avait la confiance du jeune Potter. Il était le lien parfait entre eux... Rogue l'avait immédiatement informé des maltraitances que le gamin subissait, alors que Dumbledore l'obligeait à y retourner encore et encore malgré les marques visibles de son mal-être et les traces des coups qu'il recevait. Rogue savait lui aussi ce que c'était d'être un enfant sans défense dans le monde moldu.

Voldemort avait sur un coup de tête décidé de protéger le gamin. Il ne savait pas pourquoi - habituellement, il n'était pas aussi... humain. Plus depuis longtemps. Il l'avait envoyé chez les Malefoy, bien décidé à le mettre à l'abri, en faisant comprendre à Lucius qu'il avait intérêt à en prendre soin. Comme s'il était précieux.

Il avait commencé à prendre des nouvelles de l'adolescent, en essayant de se convaincre que c'était pour vérifier que ses ordres avaient été respectés. Ou qu'il cherchait à mieux connaître son ennemi.

Cependant, ce n'était pas suffisant. Le garçon l'intriguait, bien plus qu'il ne voulait l'admettre. Il s'était déplacé en personne au Manoir Malefoy, faisant fi de tous les risques. Peu importait qu'il puisse mettre en danger la famille Malefoy, que les Aurors puissent attaquer et chercher à l'arrêter. Il avait besoin de le voir, pour essayer de comprendre cette étrange fascination.

En elle-même, leur conversation avait été banale. Ils étaient méfiants l'un envers l'autre, comme pourraient l'être deux ennemis.

Et puis, Harry avait émis une proposition impossible. Qu'ils soient liés bien plus qu'ils ne le pensaient. Qu'ils soient frères.

Tout chez Voldemort - de moins en moins Voldemort, de plus en plus Tom - s'était révolté à cette idée. Parce que si c'était le cas, alors il aurait tué ses parents et cherché à se débarrasser de son petit frère. Parce qu'il aurait alors perdu son dernier lien avec la vérité, parce qu'il ne saurait jamais pourquoi il avait été envoyé dans le passé, en plein hiver, et pourquoi personne ne l'avait jamais récupéré.

Même avant d'emprunter le chemin menant vers les ténèbres, Tom n'avait jamais espéré autant. Une famille, un frère. Il avait rapidement compris qu'il resterait seul, que jamais personne ne voudrait de lui.

A l'orphelinat, les familles venaient, mais ne lui jetaient jamais le moindre regard, comme s'il était invisible, comme s'il ne valait pas la peine. C'était à partir de cet instant qu'il avait décidé de prendre par la force ce qui lui était refusé. Ça avait été le début de son long chemin vers les ténèbres.

Il s'était attendu à voir la colère, le dégoût ou une autre émotion négative sur le visage de Harry. Mais il y avait juste eu de la curiosité. Et Voldemort avait compris que Harry était comme lui, avide de trouver ses racines, avide d'avoir une famille, quelle qu'elle soit. C'était probablement pour cette raison qu'il supportait les moldus sans se rebeller bien qu'il soit puissant.

Le Seigneur des ténèbres prit deux décisions immédiates. La première, il allait continuer la trêve avec Harry Potter. Mieux même, il allait s'assurer de son bien être autant que possible, n'en déplaise au vieux fou qui manipulait son monde à Poudlard. Il s'était montré stupide de craindre un enfant au lieu de chercher à s'en faire un allié.

Il allait commencer par veiller à ce qu'il ne soit plus jamais maltraité, et à ce qu'aucun de ses Mangemorts ne s'en prenne jamais à lui.

Quand à la seconde... Avec un sourire mauvais, il décida qu'il allait se rendre dans le monde moldu, pour avoir une petite conversation sérieuse avec la famille moldue de Harry. Sa famille également peut-être, par extension. Il n'allait pas les tuer - ce serait offrir à Dumbledore la possibilité d'envoyer Harry ailleurs - mais il allait les convaincre de se montrer... raisonnables. Il était certain qu'après un ou deux doloris, ils accepteraient avec plaisir que Harry ne vienne plus chez eux...

Ce serait un véritable plaisir que de leur apprendre qu'un enfant magique ne devait pas être traité ainsi. En attendant ce moment, il convoqua Rogue, déterminé à prendre des nouvelles du petit brun aux yeux verts.

Il se souvint de la prophétie et se demanda si Harry Potter n'était pas destiné à le sauver de lui-même plutôt que de le tuer comme tout le monde l'avait interprété. Le ramener des ténèbres, lui rendre son humanité. Lui offrir la rédemption qu'il n'avait jamais demandé. Qu'il n'avait jamais voulue.

Il secoua la tête avec dérision, conscient que son obsession pour ses origines et pour le jeune Potter devenait ridicule.

Apparences trompeusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant