21 heures 37

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Toutes étaient assises en face de leur commandant, sur des chaises ou à même le sol. Elles étaient impatientes de l'entendre raconter l'exploit qui l'avait rendue célèbre à travers la nation entière. Sa version ne différait pas vraiment de celle qui avait été partagée aux civils. Mais elle supposait que l'entendre de sa bouche rendait l'histoire encore plus captivante.

- « Notre but était d'effectuer le plus long raid sans escale et de battre le record de madame Dupeyron comme vous le savez toutes déjà, dit-elle en regardant l'ensemble des personnes présentes. Valentina Grizodubova, Polina Osipenka et moi-même espérions pouvoir relier Moscou à l'océan Pacifique. Je connaissais déjà Osipenka mais pas Grizodubova. Malgré cela, nous savions que nous pouvions compter les unes sur les autres. Notre Tupolev ANT-37, nommé Rodina, avait été préparé bien avant l'heure de décollage prévue. Les mécaniciens avaient remplis les réservoirs puis avaient placé les scellés. Juste avant de décoller, j'ai toujours cette habitude de faire le tour de l'avion. Mes camarades étaient déjà à l'intérieur. Il ne manquait plus que moi. Je suis montée et me suis installée à ma place de navigatrice. J'ai donné le signal pour que Grijudobova et Osipenka sachent que j'étais prête.

Le commandant Raskova captiva son auditoire entier en quelques minutes seulement. Chacun des soldats était pendu à ses lèvres, pressé d'en entendre plus.

- Nous communiquions par radio avec la base et savions que les transmissions allaient couper à un moment donné. Nous ne savions juste pas exactement quand. C'est au bout de neuf heures que nous avons été livrées à nous même. Le vol se passait à merveille mais à environ une heure de notre objectif, une tempête de neige a surgi. Je ne pouvais plus me fier qu'à ma carte et mon expérience. Malheureusement, c'est aussi le moment où nous avons commencé à perdre de l'altitude. Les réservoirs étaient presque vides. Les mécaniciens ne les avaient pas remplis au maximum. La glace qui commençait à recouvrir les ailes nous alourdissait et le Rodina perdait toujours plus d'altitude. Nous avions commencé à jeter tous les objets que nous pouvions hors de l'avion mais je savais déjà pertinemment que ça ne suffirait pas. La place de navigatrice était la plus vulnérable et je risquais d'être blessée en cas d'atterrissage forcé. Sauter en parachute m'a donc semblé être la meilleure option.

La forêt dans laquelle j'ai atterri était dense. Pas une clairière en vue. Je me suis retrouvée pendue par les suspentes de mon parachute à 20 mètres du sol. J'ai dû les couper avec mon couteau de chasse pour pouvoir me libérer. Malheureusement, en faisant ça, le kit de survie que j'avais attaché à ma ceinture avant de sauter s'est accroché à l'une des branches et je l'ai perdu dans ma chute. Lorsque j'ai repris mes esprits après le saut, je n'avais pas vraiment idée de la direction à suivre pour rejoindre mes camarades. De même pour la distance qui nous séparait. J'ai cherché dans mes poches pour savoir ce que j'avais sur moi. Une boussole, un couteau de poche, des allumettes arctiques, un révolver avec 18 balles et une plaque et demie de chocolat. Je savais que notre objectif initial se trouvait en direction de l'Est. J'ai donc commencé à marcher dans cette direction en espérant ne pas tomber sur une bête sauvage. Nous étions en septembre. J'avais donc encore des chances, si on peut appeler ça une chance, de tomber sur des ours.

Les yeux des soldats s'étaient écarquillés. Ils savaient qu'une rencontre avec un ours n'était jamais de bon augure.

- J'ai marché pendant une ou deux heures. La nuit commençait à tomber. J'ai trouvé un endroit où dormir au pied d'un arbre . La terre était sèche et je savais que mon pantalon et mes chaussures de fourrure, ma veste en cuir fourrée et mes gants de laine allaient me tenir chaud pour la nuit. Après m'être étendue, j'ai vu une tache orange du coin de l'œil. C'était un renard qui passait tranquillement à peine à quelques mètres de moi. Il passa sans même me regarder. Les animaux de cette forêt ne devaient pas avoir vu beaucoup d'hommes. Cette nuit-là, j'avais l'impression que je me trouvais dans la même situation que les enfants dans le conte Vassilisa la Belle. Je m'attendais à voir passer Baba Yaga dans son isba sur pattes de poulet. J'entendais le vent souffler dans les branches et de petits animaux courir sur la neige, les hululements des hiboux et les rongeurs qui grignotaient quelque chose.

La légende de l'Oiseau de feuWhere stories live. Discover now