Chapitre 8

40 8 9
                                    

Lorsque j'arrivai sur le palier de ma maison, je remarquai que la voiture de mon père était garée dans l'allée. Nous avons un garage juste au bout de cette allée justement, mais c'était ma mère qui y rangeait sa Renault puisque mon père rentrait souvent tard. Si elle devait partir, elle empruntait avec enthousiasme sa BNW. Comme le soir de sa mort, quand elle devait venir me chercher à la boîte de nuit.

Depuis ce jour, rien ne fut plus comme avant. C'était normal, bien sûr, je le savais. Mais je n'arrivais toujours pas à me faire à l'idée qu'elle ne reviendrai jamais. Mon père dès la première semaine, a revendu la voiture de ma mère et les pièces de la sienne qui avait été bien abîmée avec l'accident. Il en a alors racheté une et a commencé à faire le ménage dans la maison. Il a emporté toutes les affaires de ma mère dans le garage, à présent inutilisable. C'était comme si, d'un grand coup de vent, toute sa présence s'était envolée.

Il ne restait presque plus aucune photo d'elle, et plus aucune photo tout court. Ma mère adorait photographier tout ce qu'elle pouvait, il y en avait partout avant et toutes celles "ratées" étaient conservées dans des dizaines de disques durs, un pour chaque année. Le frigo était rempli de photos, de dessins d'enfants (de véritables artistes comme moi ou mes cousins), de magnets personnalisés ou touristiques. Tous les meubles de la maison avaient au moins un cadre et un souvenir de voyage. Mon père avait tout enlevé, rangé dans un carton et jeté dans le garage.

Il n'avait pas osé donner ses vêtements aux bonnes œuvres, bien qu'on lui ait répété qu'elle aurait voulu être utile après sa mort. Il avait fermé son compte bancaire, séparé du sien, car elle voulait une indépendance vis-à-vis de son boulot d'ingénieur dans une grande boîte. Il m'a annoncé que selon sa volonté, l'argent me reviendrait quand je serais majeure. Ma mère n'avait pas fait de testament, reportant la corvée à une quinzaine d'années, et mon père avait donc tout récupéré.

Je n'avais pas pu contester ses décisions, j'étais encore sous le choc et passais mes nuits à attendre que la porte s'ouvre. Mon père avait pris les choses en main immédiatement, et au début, je lui en voulais beaucoup de faire disparaître sa présence. Mais j'avais réalisé que c'était sa manière d'avancer et de me faire avancer. Et je ne pourrais que le remercier pour ça. Il a été très distant, je comprenais maintenant, il avait aussi besoin d'encaisser le coup.

Il s'était relevé vite de cette épreuve et je n'avais pas réussi à suivre le rythme. Alors, il m'avait comme laissée au bord de la route et avait continué son chemin se disant sûrement que j'arriverai à le rattraper. Mais j'en doutais.. Jamais je ne pourrais tourner la page sachant qu'elle était morte par ma faute.

J'allumai mon téléphone pour regarder l'heure qu'il était. L'écran d'accueil affichait 19:38, mon père devait être arrivé une dizaine de minutes avant. Je poussai la porte d'entrée et pénétrai dans le hall. J'essayai d'accéder à l'escalier pour monter dans ma chambre incognito.

Puisque mon père ne venait jamais me dire bonsoir, il n'avait certainement pas remarqué mon absence et je pourrais ne pas avoir à expliquer la raison de ma sortie. Il ne serait sûrement pas ravi d'apprendre que j'étais seule chez un garçon pour prendre ma douche. Même s'il ne faisait plus attention à moi, il s'énervait à chaque fois qu'il me voyait me laisser un peu aller. De plus, je ne voulais pas une énième engueulade à propos de cette foutue douche.

- Qu'est-ce que ..? Estelle ? Tu n'étais pas dans ta chambre ? demanda mon père dans le salon.

- Raté, me dis-je à moi-même. Oh, je vois que tu es rentrée ! C'est plus tôt que d'ordinaire !

- Oui, j'ai bouclé le projet en avance. Dis-moi Estelle, tu étais où ?

- Attends, juste une seconde, dis-je pour changer de sujet. Tu as "bouclé le projet" ? C'est génial, ça ! Ça a dû te laisser plein de temps libre pour appeler un réparateur, n'est-ce pas ?

- Oh ! J'ai complètement oublié !

- Non, jure ! J'avais pas remarqué ! Surtout qu'en voyant le joli petit post-it que tu as pris le temps de m'écrire, je me suis dit que je pouvais enfin me doucher.. Mais non ! J'ai été bête de croire que tu t'intéresses autant à cette maison qu'à ton entreprise !

- Oh ! Doucement, jeune fille ! Il va falloir me parler sur un autre ton !

- Excuse-moi, papa.. dis-je en ravalant mes paroles.

J'avais tellement envie de lui crier que j'en avais marre de cette situation. Marre d'avoir l'impression de vivre toute seule. Marre de devoir m'occuper de tout, des courses, du ménage, de la cuisine s'il ne commande par un UberEat avant. Marre de pleurer la nuit et de ne pas dormir. Marre de toujours retenir ce que j'ai sur le cœur.

J'en avais marre de vivre comme ça. Je fermai cependant ma bouche, préférant ne pas parler et garder pour moi ce genre d'émotion. J'étais déjà allé trop loin avec mon petit monologue et ne rattraperais pas ce coup-là.

- C'est que j'ai eu mon boss au moment où j'allais l'appeler.

- Pourquoi tu m'as écrit si c'était pas fait.

- Je me suis dit que ça te ferai plaisir de le voir en te levant ce matin. Je comptais l'appeler dans la voiture, mais tu sais, c'est compliqué avec le boulot en ce moment.

- Pourquoi tu ne m'as pas fait de textos alors ?

- Je sais pas, écoute, je te dis que c'est assez mouvementé pour l'instant.

- T'as bien eu une pause dej' ? Un moment pour aller aux toilettes ? demandai-je en marquant une pause. Tu sais, tu peux dire que tu m'as oublié..

- Non, je.. euh..

- Ouais, c'est bon, laisse tomber. Tu veux manger quoi ce soir ?

- Ce soir ? Il est un peu tard pour cuisiner là, non ?

- Ça prend dix minutes si je fais cuire les épinards surgelés avec du poisson pané..

- À vrai dire, j'ai déjà commandé sur ChronoPizza..

- Ah, génial ! mentis-je.

J'avais horreur de la pizza et de tout ce qui était gras en général. C'était difficile pour moi d'ingérer des aliments parce que j'avais sans cesse envie de vomir depuis la mort de ma mère. Mais mon père qui ne savait pas vraiment cuisiner, avait tendance à commander énormément sur Internet. A cause de ça et de cette sensation de gras qui restait dans ma bouche, j'ai été dégoûtée de la nourriture de fast food. Mais je décidai de ne rien dire encore, ça lui fait toujours plaisir de partager un repas avec moi.

Je mangeai rapidement une partie de ma pizza et conservai le reste au frigo. Avant de sortir de la cuisine, je mis un morceau de sucre dans ma bouche, mon péché mignon et ma technique pour enlever la sensation de gras. Je montai dans ma chambre, préparai mes affaires pour demain, car de toute évidence, je risquai d'avoir du mal à me réveiller.






______________________________________
Cette histoire est ma création. Merci de ne pas vous en inspirer ou copier des passages sans mon autorisation. Cela revient à voler.
Je rappelle que le plagiat est puni par la loi.

Tout droit réservé.

plume_songeuse

Douche Froide [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant