Chapitre 9

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Quand la sonnerie de mon téléphone retentit dans ma chambre, j'avais déjà les yeux ouverts. Je ne les avais pas fermés depuis mon réveil. Je pris un instant après l'avoir éteinte et gardai les paupières closes pour puiser un moi un semblant de motivation.

J'avais passé une bonne partie de la nuit à ressasser les mêmes choses, revoir les mêmes scènes, les mêmes discussions, les mêmes personnes. La seule chose qui changeait de mes ordinaires insomnies, c'était le visage de Lucas.

Des souvenirs de notre enfance me repassaient en tête entre mes quelques moments d'apitoiement. La journée d'hier défilait alors que je culpabilisais de ne pas envoyer toutes mes pensées à la défunte. Les images de cette dernière revenaient tellement souvent que je m'y étais habituée, et pleurais de moins en moins quand elles refaisaient surface. Mais mon voisin n'avait rien à faire dans ma tête le 23 avril, alors que ça faisait précisément six mois qu'elle n'était plus là.

J'ouvris de nouveau les yeux, essayant de chasser de mon esprit l'image de ma mère qui dans son cercueil attendait qu'on la descende six pieds sous terre. Je n'étais pas retourné dans le cimetière depuis, je n'avais pas la force. Mon père y allait toutes les deux ou trois semaines pour remplacer les fleurs artificielles ou faire je-ne-sais-quoi. Il ne m'a jamais proposé de venir, il ne voulait certainement pas que je voie ses larmes. C'était compréhensible pour une fille comme moi qui attendait que tout le monde dorme pour laisser échapper ma douleur.

Je décidai de ne pas m'attarder dans mon lit, pour une fois. Je me levai et allumai la lumière avant que mon énergie disparaisse. J'enfilai rapidement mon haut blanc et mon jean gris. Je récupérai mes affaires pour ne pas avoir à remonter dans ma chambre, et descendis les escaliers.

Je passai devant la salle à manger pour accéder à la salle de bain et devenir présentable. Je m'arrêtai soudainement et sursautai en voyant mon père installé à la table.

- Ah ! Tu es réveillée, je ne savais pas si je devais venir puisque tu te lèves seule maintenant !

- Attends une seconde papa. Je vais me rincer le visage, dis-je.

Je posai mes affaires sur la chaise en faisant attention à ce qu'il voit le moins possible mon visage. Je fuis dans la salle de bain et commençai rapidement ma toilette puis mon maquillage. De l'anti-cerne, de la poudre pour unifier le teint et du mascara et le tour est joué. Cinq heures de sommeil supplémentaire !

Je cachai mes outils de camouflage tandis que je me disais que le maquillage faisait vraiment des merveilles. Le souvenir de mon père qui attendait dans la salle à manger, stoppa le culte que j'étais en train de lui vouer dans ma tête.

Je me dépêchais de tout remettre en place, en rangeant ma trousse avec les serviettes hygiéniques, endroit où mon père n'ira jamais fouiller même si on lui disait qu'il y avait une bombe. S'il savait que je me maquillais, je me ferais sacrément engueuler parce qu'il est "hors de question que je ressemble à une beurette". Il me confisquerait tout et je pourrai dire adieu à la supercherie.

- Tu n'es toujours pas parti ? demandai-je en sortant de la pièce.

- Ah enfin ! Qu'est-ce qui te prenait autant de temps ?

- Et bien, il faut que je me rince le visage, que je le nettoie avec un gel particulier pour les peaux grasses et que je mette de la crème hydratante et protectrice. Le secret d'une peau lisse et sans bouton !

- Ouais, bon ! Dis-moi, tu manges quoi le matin ?

- Le matin ? répétai-je.

Le visage du CPE abordant son superbe sourire coincé et hypocrite fit irruption dans mon esprit. Forcément, il avait dû appeler mon père ou lui envoyer un mail.

- En général, je mange en fonction de mon envie et de ce qu'il y a. Un yaourt, un fruit, une tartine.. Ça dépend en fait. Parfois, je n'ai pas le temps de manger le matin, vu que je dois prendre le bus, mais je mange à la récréation un petit truc, expliquai-je anticipant sa question.

- Je vois.. Comme hier ?

- Oui, la vie scolaire t'a appelé ? le questionnai-je en m'asseyant en face de lui.

- Non, j'ai reçu un mail de ton CPE qui s'inquiète de ton état..

- Ah oui, il n'y a vraiment pas de quoi s'en faire, tu sais, les adultes exagèrent toujours un peu. Comme j'ai parfois des retards et des absences, il me garde à l'œil. Mais il comprend pas que j'ai un nouveau rythme à prendre et de nouvelles obligations.

- Tout doit passer après l'école, ta mère et moi, te l'avons toujours dit !

Je ravalai une parole amère et me contentai de dire calmement :

- En fait, j'avais l'habitude qu'elle m'amène en voiture et maintenant, je dois prendre le bus. Il ne passe pas souvent donc si je le rate, ce qui n'arrive pas si souvent que ça, il faut que j'attende le prochain et je serais en retard..

- Ben, arrange-toi pour partir plus tôt !

- Je vais essayer.. Pardon, Papa.

- C'est rien. Bon, je suis resté ici pour avoir cette petite discussion avec toi. Puisqu'on s'est dit ce qu'on avait à dire, je vais partir.

- Déjà ?

- Oui..

- Je croyais que.. Enfin, je me disais que peut-être, tu pourrais m'amener à l'école aujourd'hui.. Tu sais, si t'es pressé, je me prends un petit truc et on s'en va. Je suis prête, moi.

- Non Estelle.. Je dois vraiment partir et j'ai pas le temps de faire de détour, dit-il en regardant sa montre. Je me suis mis un peu en retard à cause de.. avec la conversation importante qu'on a eue.

- D'accord, soufflai-je déçue.

- Ah, il faut que je te prévienne.. Ce soir, je vais certainement rentrer tard et-

- À quelle heure ?

- Je sais pas..

- Aux alentours de quelle heure ?

- Entre 22h30 et 23h, j'imagine. Écoute, je te laisse ma deuxième carte de crédit, tu te commandes à manger et tu te fais plaisir.

- D'accord.

Je déviai mon regard sur la table à manger quand je sentis ma vision se brouiller. Mes yeux se remplissaient petit à petit de larmes, je mis toute la force qui me restait après les paroles de mon père pour les retenir. Il posa la carte sur la table et continua à parler tandis que je la fixais :

- C'est une journée difficile pour nous deux, d'accord ? Surtout que moi, j'ai une tonne de travail qui m'attend et je n'aurai pas la moindre pause pour souffler. Quoi qu'il en soit, je ne veux pas de laisser-aller ! Personne à la maison et pas plus de 20 euros, d'accord ?

- D'accord, répétai-je.

- Bon, j'y vais, dit-il en récupérant ses affaires. À demain.

La porte se ferma. Le bruit résonna dans ma tête encore quelques secondes après le départ de mon père. Je restai assise sur la chaise à me demander s'il était vraiment parti comme ça. Me laissant seule aujourd'hui avec une stupide carte bleue en guise de lot de consolation.





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plume_songeuse


Douche Froide [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant