Chapitre 4 - Dans les nouvelles

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Le hall d’entrée avait des allures de décor de cinéma. Un grand escalier se déroulait devant Quentin avec sa rampe aux fioritures dorées. Les marches larges étaient recouvertes d’un tapis qui paraissait neuf. Un immense lustre aux glaçons de verre trônait majestueusement au milieu de ce décor gargantuesque, flottant au-dessus d’eux comme s’il ne pesait rien. Les meubles, une table d’appoint, un sofa de cuir aux coussins molletonnés, un grand miroir au cadre de boiserie riche et visiblement très ancienne ainsi qu’un secrétaire qui devait valoir plus d’un million de dollars tant il brillait par les accessoires en or qui l’ornait, tout cela l’impressionna. Il n’avait jamais autant de richesse en un seul espace si vaste fut-il.

L’homme retira sa veste de policier et commença à détacher les boutons de sa chemise.

« Je déteste me costumer. C’est une plaie mais cela va, hélas, avec le métier, surtout par les temps qui courent. Ah, mais je suis bête. Je ne me suis pas présenté : je suis Matheus Ptome. »

Il lui tendit la main et Quentin hésita un instant mais en voyant le regard insistant de Matheus sur lui, il obtempéra et posa la main dans celle qui lui était tendu. Elle était chaude, presque brûlante alors que celle de Quentin était glacé. Il sentit la poigne ferme se refermer sur lui et il se raidit, s’attendant à ce que ses phalanges furent broyées.

« Je peux t’offrir un petit goûter, si tu as faim. Je mange toujours quelques mignardises et trempe mes lèvres dans un Gyokuro Asahi qui me coûte la peau des fesses mais qui fait mon bonheur, surtout en compagnie d’invités de marque comme toi. »

Quentin fut sur le point de refuser mais il comprit que Matheus n’entendrait pas son refus, que ce serait peut-être même un affront que de fuir sa présence. Il le suivit jusqu’au pied de l’escalier et Matheus lui demanda s’il voulait se changer :

« Je dois dire que tu n’es pas très présentable avec tout ce sang sur toi, je dirais, et tu as certainement besoin de te rafraichir. Viens, je vais te montrer ta chambre. »

Quentin resta au pied de l’escalier sans bouger alors que Matheus avait déjà parcouru trois marches. Ce dernier se tourna vers son invité, avec un air interrogatif :

« Qu’est-ce que vous voulez de moi? Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Vous n’êtes pas un policier, vous ne semblez pas vivre dans la misère et vous me traitez comme si j’étais un invité de marque alors que je viens d’assassiner ma femme. J’aimerais comprendre ce qui se passe, si ce n’est pas trop vous demander. »

Matheus lui sourit et redescendit les marches en tendant les bras vers Quentin.

« Suis-moi, on va aller regarder un peu la télé » dit-il en l’entourant de son bras gauche.

« Mais… » fit Quentin qui se tut en sentant la pression sur ses épaules qui augmentait.

Ils traversèrent l’arche de boiseries qui représentait des chevaux en furie entremêlés de vagues ou de flammes. La pièce voisine du hall était un immense salon, où trônait une table de billard digne de Las Vegas. Un assemblage de téléviseurs accrochés au mur était entouré de haut-parleurs et de caméras miniatures. Trois ordinateurs ultra-modernes affichaient des écrans de veille alors qu’un bar qui longeait le mur du fond alignaient plus de bouteilles de boisson qu’une succursale de la société des alcool du Québec. C’était presque indécent, tout cette opulence. Quentin avait le tournis. Matheus donne un ordre en anglais et l’écran principal s’illumina. Il ordonna ensuite à voix haute « LCN » et le visage du présentateur de la chaîne de nouvelles continues apparut. Le son augmenta en douceur alors que défilait au bas de l’écran les plus récentes nouvelles.

« De retour maintenant sur cette affaire de meurtre, près du Centre-Ville de Montéral ce soir. Marco Pelletier, vous avez du nouveau? » dit le chef d’antenne.

Le visage pâle du journaliste aveuglé par le spot d’éclairage regardait son papier, ignora qu’il avait maintenant l’antenne puis il leva les yeux :

« Oui, François. Nous sommes toujours tout près du lieu où a été commis cet horrible crime, coin St-Joseph et St-André, un quartier paisible s’il est un. Pour rappeler les faits, un appel logé aux services d’urgences vers 22 heures quinze, signalait la présence d’une personne inanimée sur le trottoir. À l’arrivée des policiers, il a été constaté qu’il y avait une victime, une jeune femme dans la trentaine qui aurait eu vraisemblablement la gorge tranchée avec un couteau de pêche qui a été retrouvé sur les lieux du crime. Je vous laisse entendre le porte-parole du SPVM, Paul Trottier. »

Quentin sursauta. « Trottier », c’était le nom qu’il avait vu sur la veste de Matheus un peu plus tôt. Son hôte fit une grimace qui ressemblait plus à un geste de sarcasme qu’à une excuse.

« Nous avons constaté le décès sur place. Il s’agit d’une femme de race blanche, âgée de 37 ans, dont le nom ne peut être révélé pour le moment, qui aurait eu la gorge tranchée par un objet contondant, un couteau de pêche, qu’on a retrouvé sur les lieux. »

Quentin prit une profonde inspiration. Il détestait la paresse des journalistes qui se contentaient de répéter ce que les autorités disaient et qui passait la même cassette pour se justifier, comme si le fait de le dire en premier leur donnait tout le mérite.

« Est-ce que vous avez des suspects? demanda le journaliste dos à la caméra. »

« Nous avons un témoin qui a pu identifier un suspect. Il est présentement interrogé par nos services. Tout porte à croire que c’est probablement un drame conjugal, mais on n’en sait pas plus pour le moment. »

Il y eut d’autres questions mais l’antenne revint au journaliste qui faisait le pied de grue devant le ruban jaune posé par les policiers :

« Alors, oui, il y aura très certainement autre chose à dire de la part du SPVM d’ici la fin de la soirée mais j’en ai profité pour interroger quelques personnes du voisinage dont voici un petit montage. »

Il y eut une vieille dame qu’on avait tiré du lit et qui dit avoir entendu un coup de feu et un autre qui dit qu’il n’était pas du coin, qu’il était en visite chez un ami, bref, rien de concret qui put intéresser qui que ce soit.

Un autre exemple de journalisme inutile et vain qui ne cherchait qu’à faire du sensationnalisme à deux sous. Mais Quentin n’avait rien appris de neuf ce qu’il s’empressa de dire à son hôte.

« Tu as bien raison fiston. C’est la suite des choses qui risque de t’intéresser… »

En effet, le journaliste poursuivait son reportage :

« François, en terminant, nous avons appris, il y a quelques instants que le témoin vient tout juste de quitter la roulotte installée à deux pas d’ici et nous allons pouvoir lui parler, si on a encore du temps. »

Le chef d’antenne brassa ses papiers et, visiblement un peu pris de court, acquiesça à sa demande.

Une forte bourrasque de vent embrouilla le son et quelques gouttes de pluie plus forte tombèrent sur le journaliste qui en perdit ses papiers. Quelqu’un passa devant la caméra et on entendit quelqu’un jurer. L’ombre fut alors éclairée et le témoin se posta devant la caméra, tout sourire.

Quentin en fut estomaqué. C’était la même personne qui l’avait observé quelques minutes plus tôt. Il sentit monter en lui une bouffée de chaleur qui le fit perdre pied. Matheus le fit asseoir tout en lui tapotant l’épaule.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant