Chapitre 14 - Allers et retours

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La seule image qui restait dans l’esprit de Quentin après ce réveil brutal fut celle d’une fille d’environ douze ans, blonde, attachée sur une chaise droite, au milieu de la pièce. Tout autour d’elle, de vieilles batteries reliées entre elles par des fils et des bidons replis de ce qui ressemblait à de l’essence. Desjardins avait créé une bombe artisanale qui allait non seulement le tuer ainsi que le fameux Kev mais aussi cette fille innocente dont le lien de parenté restait à définir. Quentin éprouvait cette douleur issue de son ancienne vie, cette autre personne encore vivante dans un repli de sa conscience, qui se battait contre cette injustice. La folie d’un homme ne pouvait s’étendre ainsi à des victimes qui n’avaient rien à voir avec son désir de mourir.

Il fut secoué de spasmes et Alphonse fit de son mieux pour le garder à l’abri des regards, surtout de celui des gens derrière les vitres teintées.

 « Il faut que tu te ressaisisses, Quentin. Il faut que tu te concentres sur le plan. Desjardins doit mourir d’ici quelques heures, c’est la seule chose qui compte. »

Quentin repoussa les bras de son acolyte avec violence. Il se déchaînait, n’en pouvant plus de ressentir cette vague de colère qui écrasait tout ce qui l’habitait. Au cœur de cette tourmente, il savait qu’une force supérieure attendait patiemment que se calme la tempête afin de reprendre les rênes. Il savait aussi que si ce nouveau pouvoir intervenait maintenant, il pouvait y laisser sa raison et finir comme ce Margolain qui hantait les terres de Matheus. Est-ce ce qui s’était passé? Cet être avait peut-être lui aussi été confronté à sa vraie nature humaine qui avait brisé le pouvoir qu’avait inscrit en lui la Mort et cela l’avait rendu fou. Il ne cèderait pas mais allait tout faire pour empêcher que des innocentes personnes payent pour cette folie qui gérait l’esprit de vengeance de Desjardins.

Lorsqu’il sentit que la douleur mentale et physique commençait à s’estomper, Quentin se remit à respirer plus lentement, fermant les yeux pour mieux se reconcentrer. Peu à peu, les voix de son passé devinrent un écho, une sourde mélopée qui frôlait son âme. Les formes autour de lui, l’ombre d’Alphonse penché sur lui, les coutures du tissu des sièges, la lumière grise contrastant avec le pourtour des glaces, tout redevint aussi net que les idées qui se démêlèrent.

« Il a trouvé la clé, dit-il enfin, ignorant la bile qui remontait dans sa gorge. Il va s’en servir pour ouvrir quelque chose mais je ne sais pas encore quoi. Il y une valise qui est contre le mur, du côté de la chambre où se trouve la fillette. La valise contient les effets personnels de la fille, j’en suis certain. C’est la fille de Kev qui est là-dedans, dans la chambre, au milieu d’une grosse bombe artisanale, de l’essence, des barils de clous, des batteries, des fils… La fille est assez mal en point. Je suis certain que c’est un enlèvement. Il a demandé de l’argent contre la libération de la petite. Les gars, là, derrière, c’est le backup de Kev. Desjardins les a vus. Kev va arriver, s’il n’est pas déjà là, assis dans une voiture ordinaire. Il y a probablement d’autres gars sur la rue en arrière pour surveiller les points de fuite possibles. »

Alphonse se redressa, aida son ami à faire de même. « Il va donc faire pêter le quartier et lui avec. Méchant malade! »

Quentin ne comprenait pas ce qu’ils faisaient ici. Si le type était assez fou pour faire sauter sa maison avec quelques membres des motards, la jeune fille avec eux, s’il avait décidé de mourir avec sa folie de vengeance, alors quel était leur rôle? Comment la Mort pouvait-elle avoir calculé l’improbable survie de cet homme pour justifier leur présence. Il le demanda à Alphonse.

« Tu sais, parfois, on est appelé sur place simplement pour s’assurer que le gars ou la fille sont vraiment morts, c’est tout. Mais là, je t’avoue que ça défie l’entendement. Si cette bombe explose comme prévu, je ne me vois pas entrer dans le brasier pour le pousser du bout du pied afin qu’il finisse de rôtir son grill personnel. Ça ne me tente pas vraiment. »

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant