Chapitre 1 - Les aveux

862 40 8
                                    

Portrait d’une immense et soudaine solitude : une vaste chambre, meublée avec goût, des tentures lourdes qui ne laissent filtrer qu’un faible trait de lumière, signe du jour naissant, un lit défait, deux souffles, celui d’une femme, saccadé, entrecoupé de pleurs à peine étouffés, et l’autre, celui d’un homme, plus long et plus profond, qui transpire de la rage tout autant que de la peur. Les mots qu’a prononcés Élaine n’ont pas eu d’écho. D’abord Quentin crut avoir mal entendu. Il s’était tourné vers elle et a voulu poser une main réconfortante sur l’épaule qui tressautait depuis un bon moment alors que le jour commençait à se frayer un chemin dans la fin de cette nuit comme les autres. Mais, elle le repoussa, doucement certes, mais ce rejet lui donna l’impression que quelque chose s’était brisé définitivement entre eux. Depuis, elle sanglotait, ouvrant quelque fois la bouche pour poursuivre ou tout simplement nier mais elle se refermait sur un autre silence malsain.

Quentin serra ses poings parce que l’envie de crier venait encore de le prendre, pour la millième fois. Une force venue de ses entrailles qui, comme plusieurs fois dans sa vie, désirait tout détruire, tout éliminer et recommencer à zéro. Mais pouvait-il un seul instant imaginer tout reprendre du début avec cette qu’il avait tant aimée, tant cajolée, tant désirée? Tous ces moments extraordinaires qu’il avait passé avec elle défilaient dans sa tête comme le cortège de toute une vie, malgré que leur histoire ne comptait que six ans de passion et de parfum d’éternité. Bien sûr, rien n’avait été parfait. Il y a bien eu des soubresauts, des hoquets où les yeux se sont quittés, où les mains ont mimé des gestes de découragement ou bien encore lorsque des mots se sont échappés bien malgré eux dans une conversation plus agitée. Mais chaque fois, un sourire, un baiser ou une courte pause avait su rallumer l’étincelle et ils avaient été de nouveau portés sur la crête des plus hautes vagues. C’était là le propre de la passion. Et Quentin croyait désormais à l’amour empreint d’éternité, repoussant du revers de la main le cliché du roman Harlequin au grand dam de ses collègues et de sa famille qu’il traitait d’ailleurs e jaloux et envieux dès qu’on en abordait un peu le sujet.

Chaque seconde qui passait incrustait une marque profonde dans cette folle et fallacieuse certitude d’une improbable éternité. Il redevenait humain, baignant dans la souffrance, ramené à la triste réalité : Élaine le quitterait.

Elle prit une profonde inspiration et se jeta à nouveau à l’eau :

« Il n’y a personne, je te le jure. Je ne suis pas amoureuse de qui que ce soit. Je veux seulement prendre un peu de recul, m’éloigner de toi, juste pour savoir si je t’aime encore. »

« Tu n’as pas besoin de t’éloigner de moi pour savoir si tu m’aimes encore, Élaine. C’est ridicule. Ou bien tu m’aimes ou bien tu ne m’aimes plus. Il me semble que c’est clair… »

Elle soupira et persista à détourner le regard, n’osant pas affronter les grands yeux verts de celui avec qui elle avait pourtant fait vœu d’aimer à la folie.

« Ce n’est pas si simple que ça, Quentin, reprit-elle. La vie, ce n’est pas simple. Rien n’est simple. Je me doutais bien que tu ne comprendrais pas. »

Il émit un faible rire sarcastique : « Un argument idéal taillé sur mesure pour les femmes : tu ne me comprends pas. »

« Je n’ai pas dit… »

« Je sais ce que tu n’as pas dit, Élaine Chicoine! Je ne suis pas sourd et je ne suis pas idiot. Ce que je ne comprends pas c’est le pourquoi. On a tous des petits moments où on n’est plus sûr de nous, des autres, de notre travail, de la vie en général. Ça ne veut pas dire qu’il faille absolument partir, s’enfuir, quitter ceux qu’on aime pour y penser. Ce n’est pas un geste permanent comme ça qui règle tout. »

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant