Chapitre 10 - Une nouvelle vie

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Quentin ne prit conscience de ce qui s’était produit que quelques heures plus tard. En fait, après que cette vague l’eût atteint, il se retrouva seul dans la salle de lecture, assis sur le fauteuil où s’était tenu Matheus quelques instants plus tôt. Cette solitude n’en était pas vraiment une car il entendait encore le souffle de cette présence qui l’avait assailli et qui l’avait laissé le regard fixé sur un point devant lui, une zone qui se situait quelque part dans l’infiniment petit, entre deux atomes qui s’entrechoquaient. Il ne distinguait rien d’autre autour de lui. Il y avait certes un image abstraite de l’environnement qui encadrait cette vision intérieure mais il ne la vit pas tout de suite. Il avait les sourcils froncés, le regard sérieux de celui qui se concentre intensément sur ce qu’il doit faire. Il sentait que quelque chose poussait vers lui, cherchant à le ramener dans sa vie mais il demeurait silencieux, trop bien pour quitter cet univers intraverti. Mais, il dût se rendre à l’évidence, il y avait trop de forces qui le repoussaient et il ne voulait pas s’y confronter. Non pas qu’il ne se sentait pas d’attaque mais c’eût été vain dans les circonstances. Le monde humain le rappelait à la vie et il devait s’atteler à ses tâches.

Ce retour se fit doucement, comme s’il remontait à la surface après une longue plongée dans les abîmes de l’océan. Peu à peu, les muscles se réveillèrent et ses nerfs se retendirent. Sa vision s’élargit, d’abord par grappes où la matière reprenait forme. Il quitta les ombres où régnaient des forces qu’il apprenait à aimer. Prisonnier dans sa vie antérieure, il devenait peu à peu maître d’une nouvelle dimension de laquelle il pourrait se sentir plus puissant et sorti de la douleur des humains.

Il grimaça, surpris de penser de la sorte, lui qui quelques minutes – ou était-ce quelques heures? – plutôt, il se plaignait de la folie des trois acolytes qui l’avaient amené ici pour le livrer aux forces supérieures. Il s’étira comme le fait la panthère noire. Il sentit autour de lui, bête plus près de la terre qu’un humain ne pourra jamais l’être. Il entendit le chuintement de l’air frôlant les murs, celle de la petite brise qui se faufilait entre les interstices de la fenêtre. Il se laissa bercer par la caresse de cette mer de particules qui l’environnait de toute part. Il entendait chaque gargouillement émis par la chair qu’il habitait. Il se déplaçait, se mouvait dans ce nouvel environnement comme un bébé naissant qu’on plonge dans une eau tiède, s’agrippant à la densité pour mieux la maîtriser. Il se sentit gauche mais la lumière cédait doucement à la noirceur. Un festin d’énergie attendait d’être consommé, bu, dégusté, dans une symphonie de nouveaux sens qu’il ne put énumérer. Ce n’était pas le bonheur qu’on pourrait croire parce qu’il se savait investi de ce nouveau rôle qui représentait plus que ce qu’il aurait pu imaginer en tant qu’humain.

Il se retrouva devant la porte et éprouva un certain plaisir à laisser sa paume entourer le métal froid. Il se fondit à lui, le pénétra et revint à son point de départ, secoué par la jouissance de cette nouvelle vision qui le rendait si puissant. Était-il supérieur à ces nouveaux amis? Il commençait à le croire et se dit que ce n’était probablement pas sain de penser ainsi. Toute nouvelle énergie acquise ne pouvait être comparable à celle des autres, s’entendit-il murmurer.

Il ouvrit la porte et retrouva le décor connu du salon où il vit, comme pour la première fois, Matheus, Horace et Alphonse qui se tournèrent en même temps pour le voir émerger de son cocon. Personne ne lui adressa la parole, ni ne bougea. On l’observait, peut-être pour jauger ce qui transpirait de sa présence, son état général. Matheus était le seul qui affichait un sourire entendu, prêt à se lever et aller rencontrer son nouveau comparse. Horace avait retrouvé la forme, toute trace de son agression était disparue, tout comme celle que s’était infligée Ptome.

Quentin se laissa couler dans le fauteuil placé de biais au sofa où les trois autres étaient assis. Les flammes brûlaient intensément dans l’âtre, les bûches craquant au cœur du brasier. Le moment, aussi solennel qu’il put paraître, n’attendait qu’un signal pour devenir festif. Ce fut Quentin qui le brisa, ayant retrouvé ses sens dans leur entièreté :

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant