Chapitre 6 - Ô nuit d'enfer, démone de nuit

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Matheus prit une pause et observa longuement son invité qui ne manifesta aucune réaction sauf écarquiller les yeux sans quitter ceux de son hôte. Quentin tendit doucement sa main vers le ballon de cognac et l’enfila sans cesser de regarder l’homme qui venait de lui annoncer qu’il était le diable en personne. Il s’étouffa avec l’alcool et sentit tout à coup que son estomac se retournait. Tout cela ne faisait pas de sens. Dieu, le diable, l’enfer, il ne croyait pas en ces fabulations d’un autre temps. La science avait vite fait de clarifier presque tout. Ce qui restait de mystère n’était entretenu que par l’esprit torturé des hommes et des femmes pour essayer de justifier l’inconnu à travers des êtres supérieurs. Cet homme devant lui n’était qu’un fabulateur, comme un prestidigitateur bien habile avec les mots et les objets. Il ignorait comment il avait pu organiser toute cette mise en scène mais il avait vraisemblablement assez d’argent pour payer ses sources et mettre en scène une pièce dont il feignait d’avoir le contrôle pour lui faire peur et le mettre à sa main. Et justement, quel était le but de tout cela? Que lui voulait-il au juste? Il lui demanda, cachant son incrédulité par un air souriant.

 « Ce que j’attends de toi? Ce n’est pas autant ce que j’attends de toi que ce que toi tu pourrais attendre de moi, de nous tous… »

« Je ne comprends pas. Pourquoi moi? »

« Ah, mais c’est toi qui as choisi cette voie, le meurtre, la mort violente. Tu as commis, aux yeux des hommes, un crime punissable de la prison à vie. Si tu étais dans certains états de nos voisins du Sud, tu serais déjà dans le couloir de la mort et je serais probablement aussi à tes côtés à rigoler de ta stupidité. Mais, voilà, tu es ici, et je ne rigole pas. Je suis sérieux bien que tu ne sembles pas me croire. »

« Je ne crois pas au diable, au démon et à l’enfer » dit Quentin en croisant les bras.

« Tu mets des mots et tu t’y accroches. Moi non plus, je ne crois pas dans ces sottises inventées par les êtres humains au fil des siècles. L’histoire de l’humanité est parsemée de légendes, de fantaisies toutes aussi farfelues que fausses. Aucune ne raconte la vérité de ce qu’est le monde, le vrai, depuis la nuit des temps. Oublie les préceptes religieux, moraux et sociaux. Tu dois regarder le monde dans le même angle que moi et tu épouseras notre mission. »

« Vous me perdez. On se croirait dans un film d’horreur de série B. Sauf que le monstre n’a pas l’air d’un monstre, mais plutôt d’un milliardaire un peu fêlé, qui parle en paraboles aussi compliquées que celles de la Bible. »

Matheus se cala de nouveau dans le sofa.

« Je t’ai demandé, il y a deux minutes, si tu croyais en la mort et tu as sourcillé. Tu m’as demandé de préciser et je t’ai parlé des anges, des messagers. Et si je te disais que la vie est un continuum, une boucle sans fin qui, si on n’y mettait pas un terme, entraînerait le monde dans un chaos impossible à contrôler. La Terre étoufferait sous le poids du vivant. Or, tout ce qui vit doit avoir un terme. Ce n’est pas scientifique mais, disons, spirituel. Tu crois en l’âme? »

« Pas plus qu’aux dieux et démons. »

« Là, tu te trompes. L’âme est la source de cette vie éternelle. C’est le fil conducteur de la vie. Notre rôle, comme celui des messagers de la vie, est de s’assurer que la mort fasse son œuvre selon un modèle précis, non pas préétabli mais prévisible, une forme de destin autogéré par soi-même. Chaque geste que tu poses comme être vivant a un impact sur ton futur. Si tu dis oui au lieu de non, tu bifurques légèrement de ta trajectoire. Chaque infime portion de seconde, cette trajectoire est modifiée, t’entrainant inéluctablement vers la mort, prolongeant ou raccourcissant cette étape finale de ta vie. Par exemple, au moment où je m’entretiens avec toi, je sais à quelle date et quelle heure à la seconde près la mort viendra te chercher. Mais, dès que tu clignes des yeux, que tu détournes le regard ou qu’une pensée se forme, cette destination fatale est modifiée. Parfois subtilement ou bien, souvent, dramatiquement. »

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant