En octobre 1958, dans les jours qui suivent l'indépendance de la Guinée, obtenue à la suite du « non » au référendum proposé par De Gaulle, ce dernier décide de punir les Guinéens en raison du mauvais exemple qu'ils donnent aux autres peuples africains qui ont accepté une coopération comme continuité de la colonisation. Il rappelle immédiatement tous les fonctionnaires, ingénieurs et cadres français qui gèrent alors l'ensemble de l'économie et de l'administration civile et sanitaire, plongeant intentionnellement la Guinée dans le chaos. Sékou Touré, face à cette situation critique, se tourne vers les pays d'Europe de l'Est et l'Union soviétique pour obtenir de l'aide. Il met en place un régime de parti unique et un système socialiste copié sur celui de son nouvel allié russe.
En 1961, la Guinée adhère, avec le Mali et le Ghana, à une Union des États africains, tentant ainsi de matérialiser un idéal panafricain. Ce projet de fédération ne dure que deux ans, les autres dirigeants africains privilégiant une « Afrique des patries », où les intérêts nationaux priment sur l'unité continentale. Malgré cette éphémère tentative de fédération, Sékou Touré continue de promouvoir le panafricanisme et l'autonomie des nations africaines, critiquant les leaders perçus comme trop conciliants avec les anciennes puissances coloniales.
Sékou Touré échappe à plusieurs attentats destinés à le remplacer par un président choisi par De Gaulle. En novembre 1965, le gouvernement français rappelle son ambassadeur en Guinée, marquant une rupture diplomatique nette. Les rapports de la Guinée avec ses voisins, Côte d'Ivoire, Niger, Sénégal et Haute-Volta, restent orageux jusqu'en 1978. L'isolement diplomatique du pays, conjugué à une économie mal planifiée, mènent la Guinée à la faillite. Les plans économiques socialistes, basés sur la nationalisation des industries et une centralisation stricte, échouent à stimuler une croissance durable, aggravant les pénuries et la pauvreté.
Face à cette crise, Sékou Touré est contraint d'assouplir le régime. Il entreprend de nombreux voyages diplomatiques dans le but d'établir des relations avec d'autres pays et de trouver des investisseurs pour exploiter les richesses minérales considérables de la Guinée. Les échanges avec la France reprennent. En avril 1982, Guy Penne, conseiller du président François Mitterrand, se rend en Guinée. En juin de la même année, Sékou Touré est reçu par le président Reagan à Washington, puis en septembre par Mitterrand à Paris. En octobre 1983, il participe pour la première fois au sommet des chefs d'État francophones à Vittel, marquant une réintégration progressive de la Guinée dans la communauté internationale.
Le colonel puis ambassadeur Maurice Robert, qui a été chef du secteur Afrique au service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) de 1958 à 1968, explique :
« Nous devions déstabiliser Sékou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l'opposition. (...) Une opération de cette envergure comporte plusieurs phases : le recueil et l'analyse des renseignements, l'élaboration d'un plan d'action à partir de ces renseignements, l'étude et la mise en place des moyens logistiques, l'adoption des mesures pour la réalisation du plan. (...) Avec l'aide des exilés guinéens réfugiés au Sénégal, nous avons aussi organisé des maquis d'opposition dans le Fouta-Djalon. L'encadrement était assuré par des experts français en opérations clandestines. Nous avons armé et entraîné ces opposants guinéens pour qu'ils développent un climat d'insécurité en Guinée et, si possible, qu'ils renversent Sékou Touré. (...) Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l'opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l'économie. »
Ces actions de déstabilisation témoignent de la détermination de la France à renverser le régime de Sékou Touré, perçu comme une menace à l'influence française en Afrique. La période est marquée par une répression interne sévère. Le régime de Sékou Touré est caractérisé par la surveillance étroite de la population, l'emprisonnement et la torture des opposants politiques, et l'utilisation systématique de la propagande pour maintenir le contrôle. Le Camp Boiro, tristement célèbre pour ses conditions inhumaines, devient un symbole de la terreur d'État. Des milliers de Guinéens, accusés de complots contre le régime, y sont emprisonnés et souvent exécutés sans procès équitable.
Malgré l'isolement et la répression, la résistance intérieure et la pression internationale grandissent. Les intellectuels, les étudiants, et une diaspora de plus en plus influente continuent de dénoncer les abus du régime. La figure de Sékou Touré, autrefois vue comme un héros de l'indépendance, est de plus en plus critiquée pour son autoritarisme et ses échecs économiques.
En conclusion, les années de dictature en Guinée sous Sékou Touré sont marquées par une lutte pour maintenir l'indépendance face aux tentatives de déstabilisation externe et par une répression interne qui cherche à étouffer toute opposition. Malgré les ambitions socialistes et panafricanistes du régime, les erreurs économiques et la violence politique laissent un héritage complexe et controversé. La Guinée de Sékou Touré reste un exemple frappant des défis et des contradictions des premières décennies postcoloniales en Afrique.

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La Guinée
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