Chapitre 16

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Au départ de Louis, il y eu de nombreuses rumeurs. Une semaine après son départ précipité, un troisième vidéo sortit, et là, il n'était plus question de cacher son visage. On était outré d'apprendre la nouvelle, on s'offusquait de son attitude, on blâmait ses moindres faits et gestes.
Comme lors de chaque scandale, le but du jeu est de dire à un maximum de personnes, qu'on était sûr que c'était lui, alors qu'en réalité on n'en avait aucune idée. C'est tellement plus facile de cracher sur quelqu'un qui n'est pas là, ou qui n'est plus là pour se défendre.
Après la mort de Steven, le flot d'injures était le même, à la seule différence que cette fois-ci, les adultes se mêlaient au débat. Il n'était pas question de préserver la famille, non au contraire, ils les blâmaient pour les "agissements" de leur fils. Forcément, si le fils a vrillé c'est que les parents ont un grain aussi. C'est toujours le cas, non ? Alors sinon, pourquoi les gens s'acharnent ils autant contre les familles des assassins, des violeurs ? On reprend souvent l'expression « La graine ne tombe jamais bien loin de l'arbre. », mais est-ce qu'on réalise que ces familles sont en deuil ? Pour vous cet individu n'est qu'une ordure, alors vous vous permettez d'écrire assassin sur le portail, de créer des comptes de la haine. Vous, vous ne perdez rien, mais eux, ils perdent un fils, un frère, un père, un mari. Alors oui ce sont peut-être les pires monstres que la terre ai jamais connu, mais peut-être que pour ces familles, c'est tout leur monde qui s'effondre. Non, je ne cherche pas à amoindrir le poids de leurs actes, mais à vous ouvrir les yeux sur les nôtres. Pourquoi continuer de blâmer ces familles qui vraisemblablement n'ont rien demandé à personne, c'était la leur, ça aurait pu être la nôtre.
Vous voyez le jeu du loup-garou ? Pour ceux qui ne connaîtraient pas, c'est une sorte de duel entre deux équipes, les villageois et les loups-garous. Les loups-garous doivent tuer les villageois pendant la nuit, et les villageois doivent trouver qui sont les loups-garous pendant le jour. Si je simplifie les règles, les loups-garous doivent embobiner les villageois et se fondre tout dans la masse. Eh bien Madison jouait au loup-garou, mais version grandeur nature. Publiquement, elle crachait elle aussi sur ce type, elle l'accablait des pires méfaits. Secrètement, elle se rendait tous les soirs au cimetière, non pas pour lui, mais pour son père.
Tous les soirs, c'était la même routine, elle s'échappait discrètement de chez elle, cueillait une fleur sur la route, et se rendait au cimetière. Aile B, allée 34, numéro 6, une combinaison qu'elle était incapable d'oublier. C'était encré là, au plus profond de sa mémoire. Cela faisait des années qu'elle n'était pas venue se recueillir sur la tombe de son père, des années et pourtant rien ne s'était effacé, rien n'avait été oublié. Elle se revoyait à sept ans, jetant une rose blanche sur ce cercueil d'un noir ébène, les joues inondées de larmes, et puis sa mère, le regard vide. Jamais elle ne pourra oublié le visage de sa mère ce jour-là, il y avait là, une telle expression de douleur, on aurait dit qu'on lui arrachait un membre. Elle perdait son mari, son amant, son meilleur ami et confidant, son tout, sa moitié. Dans le fond de la scène, elle apercevait son frère, il était comme accroché au bras de sa mère, pour rien au monde il ne l'aurait lâché, il se sentait le devoir de soutenir leur mère. Il avait besoin de montrer qu'il était digne du poste de chef de famille. Oui cette expression est ridicule pour désigner un gamin de dix ans, mais plus on est confronté au drame petit, plus vite on grandit.
En l'espace de quelques semaines, il avait grandi de dix ans, il s'était endurci, il avait mûri. Il n'était pas question de pleurer dans les jupons de sa mère, non, il fallait l'épauler, la soutenir, être à lui seul le soutien de toute une famille. Il ne devait pas craquer, sous aucun prétexte, parce que s'il craquait, elle craquerait en même temps. Il s'enferma dans les études, il ne voulait être pour elle, qu'une raison d'être fière, d'être heureuse. Il veillait à ne jamais être en retard, collé ou grondé. Il fallait être un exemple à suivre, un vrai monsieur je sais tout. Plus de jeux, plus de bêtises, plus rien, il était adulte. L'une perdait un mari, l'autre un père, mais la dernière perdait beaucoup plus. Elle perdait un modèle, son héros d'enfance, mais aussi sa mère aimante et attentionnée, son compagnon de jeux et de bêtises. Oui, ce jour-là son petit monde s'est écroulé.
Elle comprenait la douleur des parents de Steven, et avant tout, elle la partageait. Malgré elle, et sans vraiment y penser, elle s'était retrouvée à assister à son enterrement. Elle était loin bien sûr, mais elle avait assisté à toute la cérémonie, elle avait entendu les cris de douleur presque surhumains que seule une mère endeuillée peut pousser, elle avait ressenti cette douleur. Elle retrouvait chez cette femme qu'elle ne connaissait pas, cette douleur qu'elle avait vu dans les yeux de sa mère. Le spectacle était trop intense, trop dur, trop vrai. Elle devait parler à cette femme, elle le voulait. Mais pour lui dire quoi ? Oups désolé, j'ai tué votre fils par accident parce que je croyais que c'était le père de mon ex-meilleur ami, qui m'a violé il y a des années, que j'ai couvert alors que son propre fils avait des doutes, et dont j'ai balancé le fils pour une histoire de sextape ? Non, c'était une mauvaise idée. Mais manque de chance, ce fut le père qui l'aborda. Il eu envers Madison les mots les plus touchants et les plus destructeurs qui soient : "Je vous ai vue pleurer mon fils. Je ne veux pas savoir pourquoi, je ne veux plus rien. J'aime mon fils, et s'il vous a fait du mal, en son nom, je vous demande pardon. Si cela peut racheter ne serait-ce qu'un peu son âme, je serai prêt à vous supplier à genoux, à implorer votre pardon. Et s'il ne vous a rien fait, je vous souhaite toutes mes condoléances, car cela veux dire que vous avez perdu un ami.". Il ne lui laissa pas le temps de répondre, il partit rejoindre sa femme.
Madison resta longtemps à contempler cette tombe. Aile C, rangée 12, numéro 2, voilà une autre combinaison qu'elle n'oubliera jamais.

𝑴𝒂𝒅𝒊𝒔𝒐𝒏 𝑩𝒍𝒂𝒌𝒆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant