Chapitre 21

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Selon les époques, le suicide est perçu tantôt comme un acte de faiblesse, une infamie ou un drame. Étudions le premier, un acte de faiblesse. On n'a pas besoin d'en savoir plus, pour pouvoir affirmer que les personnes qui clament cela haut et fort, n'ont jamais souffert. Et lorsque je parle de souffrance, je désigne l'état le plus insoutenable, le plus invivable, le plus destructeur, que l'Homme peut ressentir. Ces gens ne comprennent pas le courage qu'il faut pour dire tout simplement stop, stop à ce cycle destructeur, stop à la souffrance, stop à tout. Je suppose qu'au moment où la lame s'apprête à effleurer nos poignets, on repense à tous ce qui nous a rendu heureux, on imagine tout ce qu'on ne vivra jamais, on ressens une pointe de culpabilité en pensant à ceux qu'on laisse derrière nous. Je suppose encore une fois, qu'au moment où l'on commet l'irréparable, on réalise le geste le plus égoïste de toute notre vie. Et de ma bouche, je le jure, le mot égoïste n'est pas péjoratif, enfin pas dans ce cas précis.
Selon d'autres personnes, le suicide est une infamie, car selon eux, on retire à Dieu son droit de vie et de mort sur nous. Je ne chercherai pas à débattre sur le sujet de la religion, car chacun a sa vérité propre et toutes se valent. Mais puisque toutes vérités se valent, la leur qui leur dicte que vivre est devenue une souffrance et que la mort est la délivrance, vaut celle qui crie à l'infamie.
Et enfin, il y a un troisième type de personnes, celles qui parlent de drame. Oui c'est une drame, la mort en elle-même est un drame. On plaint les familles des victimes, ces personnes qu'on résume au terme de victimes sont tellement plus. Ils ont choisi la mort, et c'est dur à encaisser pour ceux qui restent, mais cette souffrance qu'ils enduraient s'est éteinte. Je ne cherche pas à glamouriser ou romancer le suicide, cela reste un acte qui n'est pas sans lourdes conséquences. Mais je cherche à comprendre et à atteindre ce point de rupture, ce point où la mort semble la plus douce des solutions. Je pense que puisqu'il n'y pas de vérité absolue, il n'y a pas de point de rupture type. Chacun par sa façon de penser, son vécu, réagira d'une manière différente. Le suicide ça ne se comprend pas, ça ne s'explique. Ce n'est pas une chose rationnelle, mais ce n'est pas contre nature non plus. Je ne cherche donc pas à comprendre l'acte mais plutôt la cause. Comment notre système est-il arrivé à un point où il broie des vies ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
Ce cheminement de pensée, Madison a eu le même. Elle a considéré pendant longtemps, le suicide comme étant la solution à tous les problèmes. Un jour où ses idées noires avaient pris le pas sur tout le reste, elle s'était réfugiée dans les toilettes du lycée. Le matin même, elle avait caché tout au fond de son sac, une petite boîte ronde bleue. On pouvait voir dessus de jolies nuages gris surmontés d'étoiles d'un jaune vif. Madison jeta un coup d'œil au miroir plein de traces de doigts, actionna le robinet d'eau, pris une gorgée et avala le jolie petit caché jaune. Puis ce fut le tour du second, du troisième, du quatrième, du cinquième. Au sixième caché, la porte s'ouvrît à la volée. C'était Olivia, une fille de sa classe. Elles se connaissaient à peine et pourtant cette fille sût que quelque chose de grave se passait. Ses yeux allèrent de la boîte bleue à Madison, et de Madison à la boîte bleue. Elle traîna de force Madison à l'infirmerie, mais celle-ci, sentant bien que son geste n'allait pas passer inaperçu, simula un malaise. Une fois Olivia partie, elle retourna aux toilettes pour s'y enfermer, mais aux toilettes des garçons cette fois-ci. Elle dormit une, deux, trois, quatre heures avant d'être réveillée par la dernière sonnerie.
Ça, c'était il y a deux semaines, deux petites semaines. Il y a deux semaines, Madison a tenté de mettre fin à ses jours. Il y a deux semaines, tout aurait du s'arrêter. Olivia n'aurait pas dû être là, elle aurait du refermer cette maudite porte. A cause d'Olivia, elle se souvenait de tout. Sous le voile de son épais sommeil, toute les murailles qui entouraient les souvenirs refoulés étaient tombés. On dit qu'au seuil de la mort on voit notre vie défiler. Peut-être qu'elle l'avait échappé belle, que sans cette sonnerie, elle serait restée endormie paisiblement pour l'éternité. Le destin venait de lui arracher une mort douce, sans souvenirs douloureux, pour lui rendre tout en échange, absolument tout.
Devant ses yeux, elle vit la maison de vacances en feu, les cris de sa mère, ses pleurs. Elle entendit les appels au secours de son frère coincé à l'étage, les paroles de son père qui lui disait de ne surtout pas bouger. Elle entendit la sirène des pompiers au loin, mais son regard était fixé sur la porte par laquelle quelques instants plutôt son père s'était engouffré dans la maison des enfers. Elle vit la toile tendu sous la fenêtre et les pompiers qui hurlaient à son frère de sauter. Elle vit son père apparaître juste derrière Tayler et elle l'entendit l'encourager à sauter. Elle vit Tayler dans les bras d'un des pompiers et elle vit la maison s'effondrer sur elle-même. Puis, elle ne vit plus rien.
Elle se réveilla à l'hôpital, elle avait du mal à respirer. Plus tard dans la journée, elle demanda son père, le visage de l'infirmière se ferma aussitôt. Elle tenta de lui expliquer de la plus douce des manières qui soit que son père ne reviendrait pas, mais il n'y avait rien à faire, Madison ne voulait pas y croire. Elle hurlait son nom si fort qu'elle aurait pu se déchirer les cordes vocales. Plusieurs médecins arrivèrent et tentèrent de la calmer, Madison se débattait comme une lionne et continuait de crier son nom. Ils finirent par lui donner un sédatif. Lorsqu'elle se réveilla, elle trouva sa mère dans un coin de la chambre d'hôpital. Elle aurait voulu qu'elle la prenne dans ses bras, qu'elle hurle et qu'elle pleure sa douleur. Mais elle restait assise, stoïque. Elle aussi était morte ce bel après midi d'été.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 19, 2020 ⏰

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