Chapitre 19

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Il est toujours difficile de déterminer quel a été l'élément déclencheur, celui qui est responsable du changement, celui qui a déverrouillé les portes de l'inconnu. Lors d'un drame, on cherche toujours le pourquoi et le comment, on fouille le passé, déterre des souvenirs. Dans un cas de suicide, encore plus si la ou le mort est un adolescent, les enquêteurs vont travailler d'arrache-pied pour tenter de découvrir la vérité et ce qui a bien pu poussé la victime à commettre l'irréparable.
Pendant des jours, des semaines, voir même des mois, ils vont creuser, approfondir, passer au peigne fin les moindres détails, les moindres indices. Pendant des jours, des semaines, voir même des mois, la presse s'en parera de l'affaire, émettra des hypothèses fantasques, critiquera l'inefficacité des forces de l'ordre, plaindra la famille, les amis, vendra de l'air et la souffrance dont ils ne savent rien.
Ont-ils demandé son avis à la victime ? Non, bien évidemment que non, car celle-ci, qui un jour a décidé que la vie était devenue trop dure, que cela devait s'arrêter, qu'on devait l'oublier, la laisser tranquille, celle-ci qui ne demandait que la paix et le repos éternel, ne reçoit que cela, un coup de pub. Le but du jeu est d'être celui où celle qui réussira à trouver les mots les plus crus, les plus durs, les plus marquants, d'être celui ou celle qui comprendra tout. Mais comprendre quoi ? Que cette pauvre fille a été broyée ? Détruite ? Brisée en milles morceaux ? Qu'on lui a fait vivre un enfer ? Ou que l'enfer était dans sa tête ? De trouver les coupables ? Les responsables ? On ne cherche pas à réparer ce qui a été brisé, on cherche à punir et à accabler ceux qui ne le sont pas encore.
Est-ce qu'on veut rendre justice ? Mais justice à qui ? A une morte ? A une mémoire peut-être ? Que des proches réclament la vérité et la justice est un droit, que la police les leur donnent est un devoir. Mais est-ce vraiment ce qu'il ou elle voulait ? Est-ce que voir ses bourreaux traqués et lestés, était vraiment ce qu'il ou elle désirait avant de mourir ? Elle voulait que ça s'arrête pour elle, qu'on la laisse tranquille elle. Mais se préoccupe-t-on de savoir leurs volontés à elles ?
Que des gens meurent, c'est tragique, mais cela arrive tous les jours, mais que des gens choisissent la mort et que cela arrive presque tous les jours, ça, c'est désastreux. Si l'homme est si fort, si intelligent, si puissant, pourquoi est-il si triste ? Malheureusement, ça, c'est le mal qui ronge notre siècle, plus ravageur que la peste et la variole réunies, il nous pourrit de l'intérieur. Il existe pourtant des structures créées dans le but d'aider et d'accompagner ceux qui souffrent, mais sont-elles vraiment efficaces face au danger ? Il y a des signaux, des appels à l'aide, mais on reste sourds et aveugles face à eux. On voit de loin cette fille qu'on ne connaît pas mais qui est souvent seule, on aimerait aller la voir, la saluer, mais on se ravise en se disant que ce ne sont pas nos affaires, qu'on ne doit pas s'en mêler, on se rassure en se disant que cette fille qui n'a pas l'air bien, connaît l'existence de ces centres d'aide et que si elle en avait vraiment besoin, elle se serait tournée vers eux. Oui, on veut aider mais en faite non, on veut tendre la main mais en faite non, pourquoi aider ces gens puisqu'il y a des centres faits pour cela ? Et puis, ils n'ont pas forcément envie qu'on les aide, ils laissent parler leur amour propre et associé notre aide à de la pitié, et s'il y a quelque chose qu'un adolescent déteste plus que les cours, c'est bien la pitié.
Tout dans notre attitude doit être programmé au millimètre près, on doit être fort, fier, sûr de soi, et surtout ne pas faire pitié. On a tous entendu au moins une fois, un gars ou une fille se faire descendre, et dont la conclusion du monologue était "Tu m'fais pitié." Ou "Tu fais vraiment pitié.". La pitié est devenue néfaste et mal vue. Si le professeur ou un élève te casse, c'est ferme ta gueule ou ouvre la bien. Il n'y a pas d'entre deux, tu n'as pas le droit d'être à moitié intello ou à moitié pitre, tu dois jouer ton rôle à fond et jusqu'au bout.
Je n'ai jamais vraiment compris c'était péjoratif d'avoir des bonnes notes à l'école, pourquoi avoir des bonnes notes rimait avec ringard ou encore pourquoi on avait besoin d'avoir une étiquette. On a tous plus ou moins une étiquette, les classiques : intello, populaire, rigolo, bad boy, sportif, grande gueule, timide, bavard, chelou, superficiel, débile etc... Et une fois qu'on t'en a attribué une, c'est très difficile de s'en défaire, regarder Madison, une fois qu'on lui attribué celle de traînée, impossible de la décoller. Ça me fait rire, tellement c'est pitoyable. C'est vrai, on se plaint de nos "étiquettes", mais on est les premiers à en donner de nouvelles, peut importe qu'on veuille ou non blesser la personne, on finit tout de même par le faire. Elles ont toujours existé ces fameuses étiquettes, mais avant, elles n'atteignaient pas des adolescents non préparés à les recevoir et à faire la part des choses. Je vous avoue le cœur lourd, que l'adjectif d'intello et ses sept petites lettres, m'a souvent blessé, même s'il est dit "pour rire", la répétition de ce même terme, encore et encore, finissait par me donner l'impression que je n'étais que cela, rien de plus qu'un cerveau ambulant. Je laisse donc libre cours à votre imagination quant à l'impact de l'adjectif de traînée et de ses sept petites lettres, sur Madison.

𝑴𝒂𝒅𝒊𝒔𝒐𝒏 𝑩𝒍𝒂𝒌𝒆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant