Chapitre 20

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À mon rayon de soleil

Lorsqu'on chute de la falaise, on cherche inexorablement à se raccrocher à quelque chose. On sait qu'autour de nous, il n'y a rien d'autre que du vide, mais on cherche quand même.
L'esprit humain est illogique parfois, il a beau connaître et voir devant ses yeux une vérité absolue, il cherchera tout de même une parade, une excuse ou quoique se soit pour atténuer les effets de cette vérité. Madison voyait le visage de Steven partout où elle allait, son souvenir la suivait tel une ombre. Il était là, en face d'elle, il traversait la rue, il achetait du pain, il saluait un ami. Aux yeux de Madison, le visage clair et distinct qu'elle observait, était celui de Steven, et pourtant il était bien mort et enterré. Certains parleront de fantômes, d'autres d'hallucinations, mais ce qui est sûr, est que ce visage était bel et bien encré dans la mémoire de Madison. Tantôt Steven apparaissait jeune, beau, souriant et plein de vie, tantôt il apparaissait livide, blafard, mort quoi. Il m'est difficile d'expliquer précisément ce qu'elle ressentait face à cette vision, car comme je vous l'ai déjà dit, Madison n'avait aucun souvenir de cette "fâcheuse" rencontre. Cependant, je puis affirmer une chose, c'est qu'elle était consciente au plus profond d'elle-même, que le sentiment qu'elle ressentait était de la culpabilité. Coupable oui, mais de quoi ? Voilà la question qui la hantait jours et nuits.
Elle se réveillait en hurlant son nom, sentant couler sur ses tempes un léger voile de sueur. Son frère tout comme sa mère, ne pouvaient pas ignorer ces cris, ils avaient pleinement conscience que tout cela n'était pas normal. Et qu'ont-ils fait ? Rien, ou presque.
Un soir où la pluie battait contre les vitres et où les arbres se pliaient sous la force de vent, Tayler était entré dans la chambre de Madison. Il l'avait trouvé assise sur son lit, recroquevillée, la tête enfouie dans les genoux. Face à la lumière qui jaillissait du couloir, elle fut forcée de relever un peu la tête. Les larmes et la frustration avaient déformé ses traits de naturel si doux, sa respiration était saccadée, ses yeux gonflés. Je ne sais pas ce qu'était censé faire un frère face à un tel spectacle, mais Tayler avança doucement vers elle. Avait-il peur de l'effrayer ? Je l'ignore. Une fois arrivé au bord du lit, il la prît dans ses bras. Il n'y avait pas sur terre de mots assez forts, assez doux, assez justes, pour réconforter son âme en peine. On peut certes attribuer à Tayler de nombreux défauts et lui reprocher nombre de ses actes, mais pas celui-ci. Ce contact peut vous paraître insignifiant mais fermez les yeux un instant. Imaginez-vous dans le froid, le noir et la peur, et reconsidérer ce contact, cette chaleur nouvelle qui vous donne des frissons, ces bras qui vous enlacent et qui vous crient "Je suis là !", cette étreinte qui se resserre et qui par sa simple présence, supporte une partie du poids de vos peines. Rouvrez les yeux, et osez me dire droit dans les yeux que ce simple contact ne valait pas tous les mots de la terre. Peut-être aurait-il fallu en faire plus, peut-être aurait-il fallu lui hurler "Parles moi ! Dit-moi ce qui ne va pas !" et la secouer comme un cocotier pour lui faire ouvrir les yeux.
Mais ouvrir les yeux sur quoi ? Sur un monde et sur des gens qui la dégoûte ? Ce qui ne va pas ? Ou plutôt ce qui va ? Tayler n'est pas un mauvais bougre vous savez, il aime profondément sa petite sœur, mais parfois, même avec la meilleure volonté du monde, on ne voit pas, on ne comprends pas. On rit jusqu'au jour où on ne rit plus, on idéalise et on est optimiste jusqu'à ce que les illusions fanent. Ce jour où on réalise que non, ça n'ira pas bien, qu'elle ne reviendra pas, que plus rien ne sera jamais comme avant. Ce monde d'avant, ce monde d'avant qu'on idéalise, dont les couleurs sont toujours plus vives et les gens plus heureux. Et cette douleur vive et lancinante, comme si des milliers d'aiguilles venaient se planter en plein cœur. La gorge qui se noue, l'air qui se ratifie dans les poumons, le sang qui bat dans les tempes. Et puis ces pleurs, ces pleurs qui ne cessent pas, on a beau se dire que ça ne sert à rien, que ça ne changera rien, on ne peut les arrêter, et quand ils s'arrêtent, ils sont remplacés par cette sensation de vide qui te prends aux tripes. Les jours qui suivent, on n'a envie de rien, tout nous paraît dérisoire, inutile, mais on se force, on boit, on mange, on esquisse un sourire qui ne veut rien dire. On donnerai n'importe quoi pour revenir en arrière. Toutes ces choses qui nous paraissaient vitales, voient leur éclat disparaître, mais on doit s'accrocher, continuer à vivre. Continuer à vivre tout en portant en nous ce manque, ce manque qui ne disparaîtra jamais, qui ne sera jamais comblé, mais qui au fil du temps verra son poids diminuer. La vie continue, la vie continue mais sans lui, sans elle, sans eux. Notre vie avance, prend un tournant. La leur s'est arrêtée mais leur souvenir vit à travers nous. Que de beaux discours qui nous font doucement sourire sur le moment, mais qui résonne plus tard comme la vérité absolue.
Nous passons par plusieurs phases : le chagrin inconsolable, le déni, la colère, la déprime, le vide, l'acceptation et enfin, la rémission. On ne guérit jamais vraiment de nos blessures, mais on apprend à vivre avec. Certains passent par toutes les phases, d'autres restent bloqués à l'une d'entre elles.
La mère de Madison, elle, est restée coincée à la déprime. Et on ne peut pas lui en vouloir, on ne peut jamais reprocher à ceux qui se sont terrés dans le chagrin leur choix, ils ont décidé de ne pas tourner la page, et c'est leur droit.

𝑴𝒂𝒅𝒊𝒔𝒐𝒏 𝑩𝒍𝒂𝒌𝒆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant