L'île de Tisomer était avant tout occupée par des pirates et des pêcheurs locaux. Du fait de cet écosystème hostile, le royaume avait décidé de laisser cette terre à l'abandon. L'abondance des navires clandestins ne cessait de s'accroître.
Retrouver un forban alcoolisé au milieu de ce tumulte n'était pas chose aisée.
Le Merlan-Coquillé se situait à quelques pas des quais principaux, Azalaïs n'avait pas de temps à perdre et ne pouvait pas compter sur les traces laissées dans le sable fragile. Elle ne savait pas comment un homme à l'équilibre aussi aléatoire avait pu la distancer en une dizaine de minutes.
Azalaïs arriva à l'entrée du port le souffle court et la plante des pieds brûlante. La jeune femme ne retrouva aucune piste du voleur, et se demanda même s'il s'était vraiment enfui vers les quais.
Il y avait de quoi perdre espoir pour le débusquer ici. Entre les pirates comateux avachis sur les lattes du port, le dédale de navires, les caisses de poissons séchés et l'odeur pestilentielle qui régnait, il était aisé pour un novice - qu'elle n'était pas - de s'enliser dans ce labyrinthe de bois. Azalaïs s'y enfonça d'un pas décidé, elle avait encore quelque ressource dans sa besace.
La serveuse se dirigea vers la petite baraque d'un pêcheur qu'elle connaissait bien. Visbol, ou "lascar", un homme fourbe qu'il ne fallait pas croire sur parole, c'était lui-même qui le disait.
Son magasin était fermé par une immense planche de vieux bois, qu'elle ne manqua pas de frapper à grands coups de coude. Visbol sortit d'une porte dérobée sur le côté de sa bicoque. Son visage, crispé par l'ébauche d'une colère, se transforma vite en un faciès radieux en voyant la jeune femme. Les cheveux ébouriffés, le teint bronzé, et la mâchoire inférieure édentée, il s'avança vers elle, les bras ouverts dans l'attente d'une embrassade amicale.
– C'est toi !
– Salut Visbol, tu n'aurais pas vu un pirate, il-
– Un pirate ? lui coupa-t-il la parole. Tu te fiches de moi ? Il y en a plein dans le port !
– J'ai pas le temps de plaisanter Visbol, celui que je cherche est rond comme une coque et-
– Des pirates saouls comme cochon, il n'y que de ça ici, chérie.
– Visbol, tu vas me laisser finir à la fin ? Celui que je cherche boite, et non, il n'a pas de jambe de bois, il a aussi une large cicatrice au milieu du visage.
– Et pourquoi tu le cherches ? demanda-t-il, d'un air intéressé.
– C'est pas tes affaires, je veux juste savoir si tu l'as pas vu ?
– Je sais pas, peut-être que tu peux m'aider à m'en souvenir, rétorqua-t-il, la main tendue et le regard fuyant.
– Tiens ! répondit-elle, en lui jetant la bourse volée. C'est tout ce que j'ai.
Il la rattrapa en plein vol et compta aussitôt les pièces.
– Trente-sept alecs... Le pirate que tu cherches n'est pas loin.
– Vraiment ?
– Oui, tu l'as même loupé de peu, il se dirige vers son navire.
– Comment il s'appelle ?
Visbol se racla la gorge et croisa ses mains d'un air amusé.
– J't'ai donné tout ce que j'avais Visbol, lui précisa-t-elle.
– C'est dommage... souffla-t-il.
Azalaïs lâcha un râle d'exaspération et roula ses yeux en une courbe lente et exagérée. Elle sortit de l'intérieur de sa chemise en toile, une autre petite bourse, la sienne cette fois-ci. Elle lui donna deux pièces, puis dissimula de nouveau sa pochette en cuir.
– C'était donc là que tu la cachais, nota Visbol.
– Le nom, dit-elle.
– Je connais pas son nom, ni son capitaine, mais il vient d'arriver, ça c'est sûr.
– Tu m'aides pas, tu sais.
– À l'entrée du port, gros navire, drapeau noir avec un crâne et un trident.
Azalaïs courut aussi vite qu'elle le put une fois l'information assimilée. Visbol lui cria quelque chose entre "de rien" et "bonne chance", mais elle n'y prêta pas attention. Elle était déjà loin et avait perdu assez de temps avec ce dernier. Elle connaissait ce port comme le fond de sa poche et savait quel raccourci emprunter pour atteindre sa destination en un minimum de temps.
Les maigres indications du pêcheur l'emmenèrent vers un navire qui répondait à tous les critères énoncés. La jeune femme se cacha derrière des caisses nauséabondes à proximité du bateau, à l'affût du moindre signe du voleur. Sur la poupe du bâtiment était marqué en lettres dorées "Neptune's eye" et par-delà les rambardes, elle entendait des pirates chanter et des bouteilles tinter. À peine une demi-minute après son arrivée, ledit voleur fit son entrée. C'était lui, Azalaïs le reconnut du premier coup d'œil ; il boitait et ne cessait de se retourner.
Une fois dans son dos, la jeune femme en profita pour lui faucher les jambes d'un coup de pied rapide. Le pauvre bougre roula au sol et faillit tomber par-dessus le ponton, mais se rattrapa in extremis à une grosse corde tressée.
– T'as cru que je te retrouverais pas ? demanda-t-elle, d'un air satisfait.
– Aye, encore toi gamine ? Tu es du genre collante à ce que je vois !
Il se releva en s'appuyant sur son genou puis, d'un coup d'un seul, sortit une fine lame de sa poche et la dirigea vers le ventre de la jeune femme. Elle l'esquiva d'un pas en arrière, mais le pirate en profita pour balayer ses jambes et rompre son équilibre déjà précaire. Azalaïs atterrit sur le dos et se cogna fort le crâne sur le sol. Quelque peu sonnée par cette attaque surprise, elle peina à éviter l'autre coup que lui asséna son agresseur. Elle s'en sortit néanmoins avec une légère entaille sur la joue gauche.
Le pirate, maintenant le couteau planté entre les lattes du quai, était immobilisé au-dessus d'elle. La jeune serveuse s'extirpa de son emprise en lui donnant un coup de pied au milieu du torse. Elle se releva en vitesse et attrapa une aussière à sa portée, la jeta ensuite sur lui, passant le nœud autour de son cou. Azalaïs tira d'un coup sec et le pirate chut à ses pieds. Elle resserra la corde en appuyant son genou contre la cage thoracique du barbu, alors que ses veines de sa gorge gonflaient à vue d'œil. Une voix rauque vint l'interrompre :
– Si tu me le tues, tu me devras un homme, petite.
Azalaïs releva la tête, mais fut éblouie par un soleil écrasant. Elle n'apercevait qu'une large silhouette floue à travers les rayons de lumière.
– Tu as du cran pour une gamine, continua-t-il, ça te dirait de rejoindre mon équipage ?
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Neptune's Eye
MaceraUn mât et une coque en chêne ébène, une sirène dorée en guise de proue. Elle porte le bateau avec aisance. Sa chevelure ondulée coule en peintures de guerre, qui scintillent jusqu'à la poupe. Sous le soleil. Voiles d'encre qui flottent au gré du zép...