Le cœur serré à deux battements d'imploser, Azalaïs bouscula le capitaine Hamilton et se jeta sur le gouvernail. À travers la tempête, elle ne perçut pas grand-chose au-delà de son nez. La lumière blanche des éclairs zébrait les lourds et sombres nuages en longues cicatrices fugaces. Et elles éclairaient, le temps d'un clignement d'œil, le petit troupeau de pirates qui s'étaient déjà regroupés autour des rescapés. Sans hésiter, la jeune femme sauta par-dessus la rambarde et fila les rejoindre sous la pluie.
Elle ne pensait pas retrouver son frère d'aussitôt et en son for intérieur se mélangeaient des sentiments opposés. Entre la crainte de ne plus le reconnaître et la joie de le revoir, la jeune femme redoutait ces retrouvailles autant qu'elle ne l'espérait. Et lui allait-il la reconnaître ? Trop de pensées, trop de questionnements, trop de trop, elle n'avait aucune idée des premières paroles qu'elle allait lui adresser.
Azalaïs se fraya un chemin précaire entre les coudes et les épaules, cette somme de forbans attisée par la même curiosité dévorante. Elle profita de sa taille réduite pour tracer sa voie ; et une fois la dernière ligne de pirate passée, elle chut aux pieds des survivants de la noyade. D'abord déboussolée, la jeune femme se releva tant bien que mal, puis se raccrochant à l'un de ses voisins, elle pût enfin observer les deux personnes devant elle.
Il y avait une femme aux longs cheveux blonds et au corps fatigué ; elle était vêtue d'une simple tunique de toile fine ; y était brodé, une sirène noire à la chevelure ondulée, le signe distinctif du Torboyo. La rescapée avait les yeux clos et la bouche entrouverte, elle peinait à respirer tant son torse bougeait à un rythme imperceptible. Ses poignées étaient marquées par des blessures rougeâtres et profondes, provoquées par des lourdes menottes sans doute.
Un homme la tenait dans ses bras. Il avait sur ses poignées les mêmes blessures que la femme et était vêtu des mêmes vêtements. Azalaïs n'osa pas regarder son visage, mais se força tout de même à lever la tête et diriger son regard vers le prisonnier. Elle craignait à présent de retrouver son frère détruit par les hommes du Torboyo. Ce n'était pas l'image qu'elle avait gardé de lui et ce n'était certainement pas l'image qu'elle voulait retrouver de lui.
Ses yeux remontaient doucement, d'une peur certaine, cette tunique gorgée de sel et de crasse. Elle redoutait tant de voir les yeux de son frère, que cet instant, si bref pourtant, lui paraissait s'étirer à l'infini. Et enfin, quand leurs prunelles se croisèrent, Azalaïs, dans un souffle étrange, ne reconnaissant nullement la personne en face d'elle, murmura :
– Qui es-tu ?
Pourtant, ce dernier semblait l'avoir reconnu et maintint son regard, sans vaciller une seule fois ; une flamme d'espérance semblait irradier son visage. Puis, sans le moindre préambule et dans un râle douloureux et fatigué, le prisonnier murmura le nom d'Azalaïs à plusieurs reprises. Il lui tendait sa main squelettique, aux doigts élancés, toute tremblotante, cherchant à toucher le visage d'Azalaïs, mais comme s'il avait épuisé toutes ses ressources, le pauvre bougre s'évanouit.
– Que tout le monde s'écarte ! s'écria Hamilton, le pas pressé. Je veux vous voir à vos postes et que ça saute ! Nous avons une tempête à traverser, bande de tire-au-flanc !
Le fier capitaine poussa tout le monde sur son passage ; d'une main de fer, il empoignait les matelots qui lui tombaient dessus et les envoyait valdinguer de tous les côtés. Sa voix transcenda l'orage, à tel point que le brouhaha ambiant se tut dans l'immédiat ; et en quelques enjambés, il arriva au niveau de la jeune femme. Le petit attroupement se dissipa très vite et chacun reprit sa tâche respective, comme si de rien n'était.
Joan était suivi de près par Antonios, Simeon et Hilda, qui semblaient très contrarié par le sauvetage inattendu de ces rescapés. Ces trois-là se mirent à l'écart, comme pour observer sans être vu, tandis que le capitaine s'abaissa au même niveau que la jeune femme.
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Neptune's Eye
AventuraUn mât et une coque en chêne ébène, une sirène dorée en guise de proue. Elle porte le bateau avec aisance. Sa chevelure ondulée coule en peintures de guerre, qui scintillent jusqu'à la poupe. Sous le soleil. Voiles d'encre qui flottent au gré du zép...