Chapitre 12 - Élève & équipements

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Le capitaine Hamilton fouilla dans ses tiroirs en fredonnant dans sa barbe une chanson que personne ne reconnut ; un air entre le chant marin et grivois, un air bon enfant et joyeux. Il sortit de son bureau après avoir cherché durant quelques instants un petit bocal au contenu blanchâtre. Le minuscule récipient tenait sans mal dans sa paume. Il s'avança ensuite vers la jeune femme tout en ouvrant le contenant. Une fois le couvercle retiré, une forte odeur de poisson embauma la pièce toute entière et la réaction de chacun s'effectua tout aussi vite, allant du simple dégoût jusqu'aux bords du vomissement.

Le capitaine, qui ne semblait pas être affecté par cette odeur nauséabonde, y plongea un de ses doigts ornés de bague et aux ongles noirâtres. Et il tira, un sourire hébété aux lèvres, une noisette de cette crème écœurante. Enfin, une fois devant Azalaïs, il lécha sans vergogne son index avant. Il semblait goûter un mets divin tant sa joie débordait sur ses joues.

– Crème de graisse de baleine ! s'écria-t-il, avec une haleine peu charmante.

– Euh... d'accord, balbutia la jeune femme pinçant doucement son nez.

– C'est pour ta brûlure petite, pour éviter qu'elle ne s'infecte, ajouta Antonios. Une application par jour, et d'ici la fin de semaine-.

– Si Neptune le veut, lui coupa Hamilton.

– Tu seras encore parmi nous, conclut son second.

– Merci, marmonna Azalaïs, refermant sa chemise.

– Très bien, maintenant, parlons de choses sérieuses ! annonça Antonios. Comme tu fais officiellement partie de notre équipage, il te faut une arme. Et une arme de choix ! Tu as une préférence ? Arme blanche ? Arme à feu ? Peut-être les deux ?

Il laissait sa question en suspens et Azalaïs sentit la pression du regard des trois pirates peser sur ses épaules. Comme si ces interrogations – au premier abord banal – avaient à leurs yeux une importance capitale. Comme si le choix de son arme allait définir sa personnalité et sa place dans l'équipage. Seules les lourdes gouttes de pluie parasitèrent le silence qui s'étendait. Et alors que l'océan se déchaînait encore sous la coque du navire, Azalaïs resta muette, mais non moins réfléchie.

Tandis qu'elle pensait encore à sa réponse, Simeon se releva du mur auquel il était adossé. Derrière lui se trouvait un placard vitré où était rangé tout un arsenal de fusils, pistolets et autres sabres. Il sortit dudit rangement un tissu en toile tressée qui contenait un nombre non-négligeable d'instruments de combat. Enfin, il l'ouvrit et le déroula aux pieds de la jeune femme. Les cliquetis et tintements des armes résonnèrent dans le calme relatif qui régnait encore sur la cale du capitaine.

Après s'être mise à genoux et sans pouvoir l'expliquer, la jeune femme parcourut en premier – du regard et des mains – les sabres, dans toutes les armes présentes devant elle. Des lames courtes et épaisses jusqu'aux longues et fines, Azalaïs avait l'embarras du choix. Son visage émerveillé se reflétait sans peine dans le métal polis des épées. Quand les fioritures sculptées à même le pommeau ne suffisaient pas, des motifs floraux et abstraits s'ajoutaient au fer, le sillonnant d'une grâce assurée. Toutes étaient aussi belles les unes que les autres et jamais de sa vie, elle n'en avait vu autant au même endroit. L'un de ses premiers réflexes était d'estimer la valeur potentielle de ce qui se trouvait devant elle. L'idée même d'en subtiliser un lui traversa l'esprit. Azalaïs savait que ses mauvaises habitudes avaient la dent dure.

Elle reconnut, çà et là, les écussons de plusieurs flottes royales, quand ils n'étaient pas dissimulé par l'œil qu'on venait de lui marquer au fer rouge. Elle s'arrêta sur un sabre à la lame noir, d'un noir profond et au pommeau tout aussi sombre. Le tranchant, d'une longueur respectable, scintillait de multiples et minuscules points blancs, tel des étoiles sur un ciel nocturne. Une ceinture en cuir tanné entourait le manche du sabre. Un pistolet en chêne ébène y était relié. Son cœur se resserra au fond de son torse. Cette couleur était gravée dans sa mémoire depuis ce jour funeste où elle avait tout perdu. Cette couleur, ce bois, c'était le même que celui du Torboyo.

– Je crois que tu as fait ton choix, dit Antonios.

– Je dois t'avouer que je ne suis pas du tout déçu de toi, Azalaïs, avoua Hamilton.

– Sais-tu au moins t'en servir ? demanda Simeon, qui s'était tut depuis le début de l'entrevue.

La jeune femme se releva avec son tout nouveau sabre, l'observant avec sa plus grande minutie. Il était léger, maniable, et avait une prise en main agréable. La lame était parfaitement équilibrée. Elle enfila la ceinture autour de sa taille et la serra quelque peu. Il lui allait à merveille et Azalaïs avait fière allure. Elle finit par rengainer le pistolet noir dans son étui.

– Je t'ai posé une question, continua le beau pirate d'un air supérieur.

Azalaïs se tourna vers Simeon qui la regardait avec un petit sourire en coin. Les bras croisés et de nouveau adossé au placard, il semblait attendre quelque chose de la jeune femme. D'un air de défi, il leva son menton dans sa direction et haussa ses sourcils ébouriffés. Elle passa son regard de sa lame au visage de Simeon et d'un geste vif et circulaire, elle brandit cette dernière au cou du pirate. Son mouvement était propre, maîtrisé. Quelques centimètres de plus et le charmant bougre se retrouvait avec la gorge tranchée. Elle avait plus d'un tour dans sa besace et voyait en cette petite provocation une manière de prouver sa place dans l'équipage, de montrer ce dont elle était capable.

Pendant que Gia était en répétition pour ses pièces de théâtre et quand elle n'avait personne à dérober, la jeune Azalaïs s'était entraînée au maniement du fer. Voir Simeon désemparé et pris au dépourvu la réjouissait plus qu'il ne fallait et un sourire niais traversait déjà son visage.

– Je ne t'ai pas demandé de me tuer, s'écria-t-il en poussant la lame à l'aide de son index.

– Je pense que tu as ta réponse, mon bon Simeon, dit Antonios avec un rire franc. Tu as raison Joan, cette fille a du cran, je l'aime bien.

Il tapa sur l'épaule de la jeune femme, d'une main franche, d'une main de bon camarade. Et alors que les pirates rigolèrent de bon train, quelqu'un vint tambouriner à la porte d'entrée. Une voix pressée, tamisée par le bois et la pluie, se fit entendre. C'était Hilda.

– Capitaine ! cria-t-elle de nouveau. Nous avons remonté deux personnes, ils étaient à la dérive.

Hamilton se pressa pour atteindre la porte et ouvrit le vasistas. Un peu ronchon, comme quelqu'un à qui on aurait écourté une sieste, il déclara :

– Qu'est-ce que ça peut me faire ? Ils sont aptes à rejoindre le navire ?

– Ce sont des prisonniers de la flotte du Torboyo, capitaine, dit-elle.

– Du Torboyo ? Vraiment ?

– On les a reconnues à leur tenue. J'avais dit aux autres de les laisser, mais ils ont insisté pour les remonter.

Azalaïs remarqua un changement brusque dans les yeux d'Antonios et Simeon. Comme si l'arrivée de ces deux âmes perdues était un mauvais augure. Un jeu de regard discret s'installa entre les deux compères et Antonios dodelina de la tête, les lèvres serrées.

– Il demande à vous voir, capitaine ! continua Hilda.

– Qui ça ?

– Le prisonnier, rétorqua-t-elle. Il veut vous parler, il dit qu'il s'appelle Aelfric.

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