Azalaïs se réveilla les pieds et poings liés, en plus d'un mal de crâne du diable. Sa joue était marquée par le veinage des lattes de la calle et un filet de bave coulait de sa bouche. Sous le choc, la jeune femme ne savait plus si la tête lui tournait ou si c'était le bateau qui tanguait. Elle aperçut le jour à travers les lucarnes et pût en deviner l'heure. Par tous les moyens, elle devait trouver une échappatoire à sa prison de fortune.
La jeune femme était allongée sur le sol et échouait à se relever. Elle comprit qu'il était possible qu'elle ne se trouve plus sur l'île de Tisomer. Elle avait abandonné de ce fait et contre son gré, son amie Gia. Une fois cette pensée ancrée au plus profond de son esprit, une peur panique submergea ses boyaux. Elle tenta encore de se lever, mais en vain.
Elle entendit des pas et des tintements métalliques se rapprocher d'elle. Elle effectua une piètre roulade pour se dissimuler sous une étagère. Elle n'eut pas le temps d'apercevoir qui venait lui rendre visite, mais elle devina qu'ils étaient plusieurs.
– Tu penses qu'elle s'est réveillée ? demanda une voix rustre et sérieuse.
– Aye capitaine, j'ai entendu du bruit.
Ses chaînes. Azalaïs, dans la panique et la précipitation, avait oublié le bruit provoqué par ses chaînes. Elle tenta de se figer telle une statue de cire, espérant duper les pirates.
– Où elle est ?
– Pas loin capitaine, elle est enchaînée comme une chienne. Si elle s'est enfuie, elle est sûrement passée par dessus bord et dans ce cas là...
Azalaïs reconnut la voix de Darzal, vicieuse et rouée.
– Dans ce cas là, elle est morte, conclut le capitaine.
– Non, je sais où elle est, ajouta-t-il d'un rire sinistre.
Il se dirigea droit vers sa cachette et renversa d'un coup sec l'étagère. Azalaïs était sans défense et sans abrie, recroquevillée en boule comme un animal apeuré. Darzal essaya d'attaper la jeune femme par les poignets, mais elle se débattit du mieux qu'elle pouvait. Il lui donna un coup de pied dans le torse et elle s'arrêta net, le souffle coupé. Il entoura ensuite le cou de la jeune femme d'un collier de métal, relié à une longue chaîne argentée.
– Allez, tu vas nous suivre petite, dit-il d'un air vainqueur.
– Tout va bien se passer si tu restes calme, la rassura le capitaine.
Darzal tira sur les anneaux et entraîna la jeune femme hors de la cale. La lumière agressive du soleil força ses paupières à se clore de force. Une fois habituée au jour, elle put de nouveau les ouvrir. Ses craintes étaient fondées. Elle n'était plus sur l'île de Tisomer, mais perdue au milieu de l'océan. Ses jambes tremblèrent et une fois encore, elle faillit choir sur le ventre.
– Vois-tu chère enfant, commença le rustre capitaine, ce n'était pas très malin de ta part d'essayer de nous voler. Mais je suis quelqu'un de clément, j'ai une proposition à te faire. Une proposition que tu ne pourras pas refuser.
– J'avais mes raisons, répondit-elle d'une voix presque imperceptible.
– Aye, on a tous nos raisons, gamine, rétorqua Darzal.
– Azalaïs, continua le capitaine. Je savais bien que ce nom me disait quelque chose. Il n'y parait pas, mais le monde des trois océans est petit, n'est-ce pas ?
– Si vous le dites...
– Tu es une grande fille, et je vais supposer que tu connais certaines légendes pirates ?
– Oui, murmura-t-elle, la tête baissée.
– Ce sont tes parents qui te les ont racontées ?
– J'ai pas connu mes parents, mentit-elle d'une voix sèche.
– Vraiment ?
– Vraiment.
– Alors, d'où tu les connais, ces légendes ? continua-t-il.
– Je les connais, c'est tout.
La jeune femme n'avait aucune envie de coopérer, elle réfléchissait déjà à son plan d'évasion.
– Alors tu dois sûrement connaître le Torboyo ? demanda-t-il.
Azalaïs se tut, le regard dans le vide et les mains moites. Des frissons parcouraient en écho son corps tout entier. La jeune femme feignit la sérénité, mais fut trahie par ses doigts tremblotants. Elle déglutit tant bien que mal et releva la tête vers le capitaine.
– Je connais cette légende, oui, mais personne ne l'a jamais vu, dit-elle.
– Personne, dis-tu ?
Le capitaine avait un sourire satisfait et reprit sa marche vers ses quartiers. Azalaïs était contrainte de suivre le pas, tirée par le collier à son cou. Elle remarqua la présence de Simeon sur le pont. Il était adossé contre la rambarde, les bras croisés, accompagné d'autres pirates. Tous la regardèrent, mais elle ne remarqua que Simeon. Son visage était fermé et froid. Depuis leur rencontre, c'était la première fois qu'il l'observait avec autant d'attention. Elle sentit dans son regard le jugement profond du jeune homme.
– Darzal, tu peux nous laisser, j'ai besoin de m'entretenir en privé avec la petite.
– Aye capitaine, répondit-il en lui tendant la chaîne.
Une fois à l'intérieur de la modeste pièce du capitaine, ce dernier posa son chapeau sur son bureau. Il y planait un parfum de cannelle mélangé à l'odeur si particulière du rhum aux épices tant apprécié des pirates. L'atmosphère y était fraîche et agréable, la jeune femme pouvait enfin respirer, malgré son collier de métal. Le capitaine avait une foule d'objets et de curiosités posées çà et là sur son bureau. Le rangement ne semblait pas appartenir à son lexique.
Enfin et contre toute attente, il la libéra de ses chaînes. Azalaïs eut un micro-spasme ; l'idée de fuir aussitôt lui effleura l'esprit. Un réflexe de survie qui aurait pu lui coûter la vie, car au moment même, le capitaine avait déjà dégainé un de ses nombreux pistolets.
– Tu sais lire, petite ? questionna le rustre gaillard.
– Un peu.
Le capitaine sortit un carnet débordant de papiers d'un de ses tiroirs. Il le feuilleta dans un silence religieux sous l'œil interloqué de la jeune serveuse. Quand il eut trouvé la page qu'il cherchait, le capitaine lui tendit ledit carnet.
– C'est un registre des prisonniers de guerre et esclaves du Torboyo, je pense qu'il pourrait t'intéresser.
Elle parcourut en vitesse la liste de noms qu'elle ne connaissait pas. Elle ne voyait pas ce que le capitaine voulait lui montrer. La jeune femme avait autre chose à faire que de résoudre les énigmes délirantes de cet étrange personnage. Alors qu'elle allait lui rendre la liste, s'arrêtèrent son œil et son cœur sur le nom de son frère.
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Neptune's Eye
AbenteuerUn mât et une coque en chêne ébène, une sirène dorée en guise de proue. Elle porte le bateau avec aisance. Sa chevelure ondulée coule en peintures de guerre, qui scintillent jusqu'à la poupe. Sous le soleil. Voiles d'encre qui flottent au gré du zép...