Chapitre 10 - Échange & entretien

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Azalaïs se réveilla en douceur dans le lit de Gia. Une éternité s'était écoulée depuis la dernière fois qu'elle s'était endormie auprès d'elle, pour la simple et bonne raison qu'elle partageait son lit avec d'autres clients. Lovée au creux de ses bras, elle les agrippa comme pour se protéger du monde extérieur. Elle sentait encore sur ses lèvres le goût affreux de la salive de Guillermo.

La jeune femme plongea sa tête dans les paumes de Gia, pour se réjouir de son parfum de rose et de lavande. Deux ou trois bouffées plus tard et tous ses problèmes avaient disparus.

– Tu es réveillée Az' ? demanda la voix de Loìs.

Elle n'était pas folle, loin de là, et savait très bien qu'elle se trouvait dans les bras de Gia et non de son frère. Pourtant, c'était bel et bien sa voix qu'elle venait d'entendre. Cela ne l'empêcha pas de se retourner en trombe et de tomber du lit, bousculant son amie par la même occasion.

– Pardonne moi Azalaïs, s'excusa Gia, la main sur son collier. Je ne voulais pas te brusquer.

– C'est rien, j'ai cru entendre mon frère.

– Oh... celui dont tu ne veux pas me parler ?

Azalaïs se releva et revint dans le lit auprès de son amie. Trop de sensations et de questionnements étranges se bousculaient dans sa tête. Elle n'avait pas encore parlé à Gia du Neptune's eye, ni de la proposition de rejoindre les pirates. Proposition qu'elle avait d'ores et déjà acceptée. La future pirate lui saisit les mains et souffla jusqu'à s'en vider les poumons.

– Tu ne veux toujours pas en parler ? demanda Gia. Ce n'est pas grave, rien ne presse. Maintenant que l'autre ordure est mort et que Paca pourrit aux Sables...

– Gia, on doit partir d'ici...

– Tu es restée sur ça, encore ? s'étonna-t-elle, tu sais, on a plus rien à craindre.

– C'est par rapport à mon frère, avoua-t-elle. Je pars le retrouver avec les hommes du capitaine Hamilton.

– Le capitaine Hamilton ? Celui avec la grosse barbe ?

– Oui, et j'aimerais beaucoup que tu viennes avec moi, Gia.

– Je- Je sais pas Azalaïs... souffla-t-elle dans un murmure.

Elles restèrent toutes deux silencieuses dans un moment de flottement perplexe, main dans la main. Azalaïs, que Gia considérait elle aussi comme son unique famille, avait une place importante dans son cœur. Mais elle ne se sentait pas capable d'endosser une vie de pirate, trop de dangers, trop d'incertitudes. Tout cela, Azalaïs l'avait perçu dans son regard. Leur relation plus que fusionnelle permettait aux deux amies de communiquer sans émettre un seul mot. Elles se comprenaient, tout simplement.

Tiraillée par le choix de retrouver son frère et de rester avec son amie de toujours, Azalaïs ne savait pas quoi décider. Les minutes s'écoulaient et bientôt sa vie allait prendre une direction irréversible.

Une femme passa la porte de la chambre, un panier de fruits à la main et d'une voix chantante et joueuse, elle s'annonça :

– Bonjour mesdemoiselles, Hilda à votre service !

C'était la pirate qui avait maîtrisé Guillermo la veille. Elle portait un bandeau sur la tête et ses longs cheveux bruns bouclaient jusqu'à ses épaules. Azalaïs lui donnait le même âge que son amie à cause de leur forme physique identique. Hilda leur lança deux pommes qu'elles n'eurent pas le temps de rattraper, puis continua :

– Le capitaine m'envoie te chercher... Azalaïs, c'est ça ?

– Oui, c'est moi, acquiesça-t-elle, tu peux me laisser encore quelques minutes avec mon amie ?

– Il veut te parler aussi !

– Qui ça ? Moi ? demanda Gia, incrédule. Qu'est-ce qu'il me veut ?

– Je sais pas ! répondit-elle, amusée. Sachez juste que le capitaine n'aime pas attendre.

Après s'être vêtues en vitesse pour s'entretenir avec le capitaine, Azalaïs et Gia descendirent dans la salle principale du Merlan-Coquillé où les attendait Hamilton. Cela leur paraissait étrange de contempler cette pièce qui à cette heure-ci débordait d'habitude de soulards. Les hommes du Neptune's eye avait réquisitionné l'établissement pour quelque temps, en gage du sauvetage d'Azalaïs, qui était à leurs yeux un membre à part entière de l'équipage.

Hamilton était installé à une table accompagné de Simeon et d'un autre pirate qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Tout aussi âgé que le capitaine, il portait à merveille une barbe tressée poivre et sel surmontée d'une moustache bouclée. De sa bouche sortait une fine et longue pipe, taillée dans un bois noir d'ébène. Son chapeau, bien que moins imposant que celui du capitaine, possédait un charme certain. Il était agrémenté d'une plume discrète et rayée de blanc. Il était évident que ce pirate possédait autant d'aplomb qu'Hamilton.

– Azalaïs ! Te voilà enfin, s'exclama ce dernier. Viens, prends place et assieds toi. Toi et ton amie aussi !

– Capitaine, le salua-t-elle.

Hamilton se leva et saisit la main de Gia pour y déposer un doux baiser. Prise de court, elle le regarda avec des yeux écarquillés, puis se sentit flattée par tant d'attentions. Il était admis que dans son métier, les hommes disposaient d'autant de tact et de tendresse que des bouchers malhabiles.

Elle lui rendit ses salutations par une révérence maîtrisée puis s'installa à la table.

– J'ai une proposition à vous faire, commença le capitaine. Cette taverne nous intéresse et on veut la réquisitionner. D'ailleurs que vous le vouliez ou non, elle nous appartient déjà.

Gia et Azalaïs se regardèrent, tout cela ne les concernait pas et elles n'avaient que faire des propriétaires de l'établissement.

– Ce que j'ai à vous proposer en revanche, continua-t-il, et je m'adresse plus particulièrement à vous, Gia... C'est d'en prendre la direction.

Les deux femmes se regardèrent une fois de plus, ébahies par ces propos à peine croyables.

– Le Merlan-Coquillé est à un placement stratégique. Entre les deux continents, non loin des voies commerciales et de tout un chapelet d'îlots qui prolongent Tisomer et qui pourraient servir de point de chute. Il faut l'avouer, c'est l'endroit idéal.

– Pas étonnant que ça soit la plaque tournante de la piraterie, nota le forban à la pipe. Bref, on vous laissera deux ou trois matelots pour la sécurité, et vous aurez toute la liberté que vous souhaitez pour les activités du Merlan-Coquillé.

– Bien évidemment, nous toucherons une partie des recettes, ajouta Hamilton, mais on saura se montrer partageur.

– Pourquoi moi ? demanda Gia.

Hamilton se redressa quelque peu et passa ses grosses mains sur sa veste de cuir. Il répondit avec un petit rictus :

– Avoir la capacité de tuer un homme de sang-froid comme vous l'avez fait hier... Ça n'appartient pas à tout le monde. Je sens que vous avez les épaules, Gia.

– Et si je refuse ? ajouta-t-elle.

– Vous pouvez toujours reprendre votre place de catin, rétorqua l'autre pirate.

Il se tourna ensuite vers Azalaïs et croisa les bras. Le fier gaillard redressa son menton et se dodelina sur sa chaise, s'y enfonçant à chaque à-coup. Puis quand enfin, il prit une position statique, Hamilton s'élança d'une voix claire et distincte :

– Et toi Azalaïs, veux-tu rejoindre l'équipage ou épauler ton amie, ici ?

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