Indignées

Chapitre 4

Léonie

     — Non mais franchement quelle garce !

— Puis t'as entendu ce qu'elle a dit ?! Comme si Nicolas pouvait s'intéresser à une fille comme elle...

Je plante ma fourchette dans une pomme de terre et le regrette immédiatement dès ma première bouchée. Je bois un grand verre d'eau et regarde mon plateau d'un air dépité. J'imagine qu'il ne me reste plus qu'à aller chercher des provisions de pain pour survivre jusqu'à la fin de la journée.

Je m'apprête à me lever lorsque Sacha me pose la question que je redoutais tant :

— Et toi Léo, t'en penses quoi ?

Honnêtement, j'ai arrêté d'écouter leur conversation dès l'instant où nous nous sommes assises pour manger. Mais il n'est pas bien compliqué de savoir de quoi elles parlent. Depuis tout à l'heure elles n'arrêtent pas de cracher sur Maëlle. Moi qui ai toujours pensé que mes amies étaient géniales et ouvertes d'esprit, je commence à en douter. Certes, Maëlle n'est pas très sympa et sa réputation ne joue pas vraiment en sa faveur mais ce n'est pas la peine d'en faire tout un plat. Je veux dire, d'accord, elle a insinué des choses pas très cool sur le copain d'Érine mais il y a des choses plus graves dans la vie non ?

Comme elles attendent ma réponse, je me contente de hausser les épaules, ne voulant pas prendre parti au risque d'aggraver la situation. Malheureusement, ma réaction ne paraît pas leur suffire puisque Pauline renchérit :

— Allez, tu dois bien avoir quelque chose à dire !

— Non, pas vraiment...

Et là, j'ai l'impression d'avoir signé mon arrêt de mort. Elles me dévisagent toutes les trois, les sourcils arqués comme pour dire « tu viens de dire quoi là ?! ».

— Tu n'es quand même pas de son côté ? s'écrie Érine. Parce que si tu la défends après...

— Ce n'est pas ce que j'ai dit ! Je ne comprends juste pas pourquoi on en parle encore. On ne pourrait pas passer à autre chose ?

D'abord, les filles ne disent rien, sûrement étonnées de ma réaction. Mais au bout de quelques secondes, Pauline et Sacha éclatent de rire, croyant à une blague. Sauf que pour une fois, je suis loin d'avoir envie de rire. J'ai l'impression de voir mes amies pour la première fois. Elles ont toujours été comme ça, à critiquer les gens qui les dérangent ou qui osent dire quelque chose sur l'une d'entre nous et à se sentir supérieures à eux, mais je crois que je ne m'en étais jamais vraiment rendue compte. Est-ce que je suis comme ça moi aussi ? J'espère bien que non...

Les filles s'arrêtent de rire, reprenant leur souffle lorsqu'elles réalisent que mon expression n'a pas changé. Je sais qu'elles attendent une explication mais là tout de suite, elles m'insupportent.

Je me lève pour aller chercher du pain et lorsque je retourne m'asseoir, les filles se taisent immédiatement, coupant court à leur conversation. Je lève les yeux au ciel, il est évident qu'elles parlaient de moi.

Le repas se termine dans le silence le plus glacial, uniquement perturbé par les œillades que Pauline, Érine et Sacha se lancent sans cesse, prenant bien soin d'éviter mon regard à chaque fois. Quand elles sortent toutes les trois leur téléphone, je devine qu'elles s'envoient des messages. Elles sont ridicules.

     On ne se parle toujours pas lorsqu'on sort du lycée pour rejoindre les garçons qui sont en train de fumer devant. Je suis soulagée de voir leur sourire en arrivant parce que l'ambiance jusque-là était plutôt pesante.

Pauline ne peut s'empêcher de raconter « l'incident Maëlle » mais Hugo lui fait vite comprendre qu'il n'en a rien à faire, pour mon plus grand plaisir. Elle ne paraît même pas se vexer, ce qui, par contre, est mon cas. Pourquoi est-ce que quand Hugo lui dit que ça ne l'intéresse pas, elle ne dit rien et quand c'est moi, elle en fait toute une histoire ?