Maëlle
Je suis allongée sur mon lit, les jambes en l'air, appuyée contre le mur, mon tourne disque tournant dans le vide depuis maintenant plusieurs minutes. Cela ne fait qu'une heure que je suis en train de réfléchir à mon projet d'art mais j'ai l'impression qu'il s'agit de jours entiers. J'ai relu le sujet une bonne centaine de fois mais rien n'y fait, je suis en manque total d'inspiration. En même temps, le « sujet » n'aide pas beaucoup.
« Réalisez un projet personnel sur quelque chose qui vous tient à cœur. Il faut que celui-ci témoigne d'une véritable démarche artistique. ».
Comment voulez-vous que je trouve l'inspiration avec un intitulé pareil... Pourtant, il va bien falloir que je trouve une idée. Parce que ce projet pourrait être mon ticket d'entrée à Spéos ou aux GOBELINS, deux écoles de photographie qui font parties des plus prestigieuses.
Pour être claire, ce projet d'art représente mes possibilités d'avenir et, peut-être finalement le plus important, une éventuelle échappatoire. Parce que c'est la possibilité de partir à Paris, de quitter mon père, cet appartement, cette ville et tous ces gens que je déteste. Ce projet représente littéralement tout pour moi mais forcément, je n'ai aucune putain d'idée.
D'un autre côté, nous ne sommes qu'au début du mois d'octobre, j'ai encore largement le temps. Mais si Tiraud nous presse autant, ce n'est pas simplement pour nous effrayer. Il est prof d'art plastique depuis une éternité alors il sait de quoi il parle lorsqu'il dit que le temps passe à une vitesse folle. Et c'est justement ce qui me fait peur...
Je me redresse brusquement et prends la boîte en carton dans laquelle j'entasse tous mes vinyles pour la poser sur mon lit. Je me mets à chercher frénétiquement celui que je veux écouter. Je ressors finalement ma main, triomphante, tenant un album des Beatles.
J'ai souvent lu que lorsque l'inspiration ne venait pas, il était parfois bon de changer d'angle, de point de vue. Mais visiblement, être allongée sur mon lit la tête dans le vide et les jambes en l'air n'a pas donné grand-chose.
Alors quand les premières notes de She loves you résonnent dans ma chambre, je bondis sur mes deux pieds et je danse. Je danse comme si plus rien n'existait. Comme si le monde entier n'existait plus et qu'il n'y avait plus que moi, ma chambre et mon tourne disque. Comme si les voix de John Lennon et Paul McCartney étaient le seul son qu'on pourrait entendre sur toute la planète. J'augmente le volume de la musique pour couvrir le bruit des voitures et de la télévision. Et je saute dans tous les sens, chantant peut-être encore plus forts que la musique.
Vu de l'extérieur, je dois sûrement avoir l'air ridicule, surtout que je danse comme un pied. Mais moi, je ne me suis jamais autant amusée depuis des mois. C'est comme si je relâchais d'un seul coup toute la tension accumulée ces derniers mois et je me sens tellement plus légère. Je ne pense à rien du tout et c'est sans aucun doute une des meilleures sensations que je n'ai jamais connue.
Je suis tellement ailleurs que je n'entends pas les coups tambourinés à la porte. C'est seulement quand cette dernière s'ouvre à la volée que je sors de ma bulle, prise d'un sursaut.
La musique continue de jouer, toujours aussi fort, tandis que je fais face à mon père, plus que remonté. Je voudrais enlever le vinyle du tourne-disque mais je n'ose pas bouger. Il fait un pas pour entrer dans ma chambre et je me retiens de ne pas reculer. Surtout, ne pas lui montrer que j'ai peur.
— Tu fais vraiment tout pour me faire chier, hein ? il articule de sa voix rauque, conséquence de l'alcool et du tabac.
Mon cœur bat la chamade, si fort que je crains l'espace d'une demi-seconde qu'il sorte de ma poitrine. Mais je ne bouge pas le moindre cil, priant pour qu'il se contente de crier un bon coup puis qu'il sorte de ma chambre. Seulement, le ton glacial de sa voix ne laisse rien présager de bon.
![](https://img.wattpad.com/cover/221912691-288-k244453.jpg)
VOUS LISEZ
Indignées
Fiksi RemajaA 17 ans, Léonie est victime de viol. A cause d'une photo qui a circulé sur les réseaux sociaux, Maëlle est considérée comme la "traînée" du lycée. Il y a Léonie et Maëlle mais elles sont loin d'être les seules. Plutôt que de se taire, Léonie décide...