Chapitre 7

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Léonie

     Je me sens complètement euphorique. Vous savez, ce sentiment qu'on a lorsqu'on s'apprête à faire quelque chose d'incroyable, qui pourrait renverser l'ordre des choses. C'est ce que je ressens depuis ma discussion avec Maëlle, il y a deux jours. C'est peut-être ridicule mais j'ai l'impression que je vais accomplir quelque chose, quelque chose de grand, qui aura un impact. Je ne prétends pas révolutionner le monde mais j'espère vraiment bouleverser le lycée.

Le groupe de parole est sans aucun doute la meilleure idée que j'aie jamais eue de toute ma vie. Sans rire. Je suis persuadée que c'est ce dont a besoin un lycée comme Saint-Exupéry. Si la parole se libère, les filles ne se sentiront plus seules, elles n'auront plus honte de ce qui leur est arrivée, les gens arrêteront de juger et critiquer sans réfléchir. Peut-être que Pauline n'aurait pas réagi de la sorte si on ne lui avait pas bourré le crâne d'idées sexistes et patriarcales. Ou peut-être pas. Peut-être aussi que ce projet est nul et qu'il ne servira à rien. Mais ça vaut le coup d'essayer. Pour moi et pour toutes les autres. Pour ma sœur.

Comme on dit, le jeu en vaut la chandelle.

Maëlle et moi sommes assises à une table au fond de la cantine. Malgré tout, les gens ne peuvent s'empêcher de tourner la tête vers nous, se demandant probablement ce que je fait avec la « salope du lycée ». Je sais pertinemment que mes anciennes amies ne vont pas se gêner pour en parler à tout va et que nous serons le sujet de discussion principal des prochains jours. Avant je n'y aurais même pas fait attention mais aujourd'hui, ce genre de choses m'exaspèrent. Je n'avais jamais pris conscience de l'immaturité et de la méchanceté dont peuvent faire preuve certaines personnes.

J'enfourne une fourchette de pâtes dans ma bouche tandis que Maëlle s'extasie sur l'immense talent d'Edgar Allan Poe, un de ses auteurs favoris. J'avoue que je ne l'écoute que d'une oreille mais je souris quand même de temps à autre, pour ne pas qu'elle ait l'impression que je n'en ai strictement rien à faire. Ce qui n'est absolument pas le cas d'ailleurs, que ce soit bien clair.

Je passe beaucoup de temps avec Maëlle ces derniers temps, cette fille est géniale. Sous ces airs de méchante et son sarcasme sans pareil se cache une fille drôle, super gentille, passionnée par la musique, la littérature et la photographie. Moi qui ne savais rien d'elle, je prends plaisir à en découvrir un peu plus chaque jour. Je regrette de ne pas lui avoir parlé plus tôt. Mais bon, mieux vaut tard que jamais.

Je jette un coup d'œil à l'immense horloge accrochée sur un des murs de la cantine puis embrasse le réfectoire du regard. A cette heure-ci, il est plein à craquer. Je sais que c'est le moment idéal pour faire mon annonce mais je sens le stress m'envahir. Je dois avoir l'air anxieuse parce que Maëlle s'arrête soudainement de parler et me demande si je vais bien. J'acquiesce lentement sous son regard suspicieux. 

Aller Léonie, tu peux le faire. 

Et c'est vrai, je peux le faire. Habituellement, je n'ai pas peur de parler en public et puis je connais la moitié des gens du lycée. Je n'ai rien à craindre. Certes, je me suis, disons éloignée de mon groupe d'amis mais pas de tout le monde. Et même si les autres sont plus pour moi des connaissances que des amis, je pense qu'ils m'aiment bien. Je souffle un bon coup, je sais que je vais y arriver.

Alors sans prévenir, je me lève et monte sur ma chaise. Certains se retournent et me regardent étrangement, ne comprenant pas ce que je fais. Je ne parle même pas de Maëlle qui a l'air complètement ahuri.

J'attrape mon verre et ma cuillère pour faire du bruit. Vous savez, comme dans les films où quelqu'un veut porter un toast pendant un mariage. Et bien figurez-vous que ça ne fonctionne pas très bien. En tout cas, ce n'est pas assez bruyant pour attirer l'attention de tout un réfectoire.

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