Chapitre 1

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Tu es entrée dans ma vie, par hasard, et de loin, un beau jour de juillet. L'été ne faisait que commencer.

L'air est chaud et sec quand je sors du train. Le soleil cogne et je suis obligée de me couvrir les yeux avec ma main, pour ne pas être éblouie par les rayons reflétés par les immenses baies vitrées. Je traîne ma valise derrière moi pour rentrer et me mettre à l'abri du soleil. Une fois que c'est fait, j'essuie mes mains, moites de transpiration, sur mon tee-shirt Je m'étire les épaules pour les soulager : les bretelles de mon sac, rempli au maximum, tirent dessus et c'est insupportable. J'ai hâte de pouvoir m'en débarrasser, mais apparemment, je vais devoir attendre. Je regarde l'heure affichée sur la grande horloge de la gare. Déjà que le train avait une vingtaine de minutes de retard, il n'est même pas arrivé. Est-ce que je suis surprise ? Au fond et sincèrement, pas vraiment. Ça prouve seulement qu'il n'a pas changé.

Quand j'étais petite et qu'il devait venir me chercher, je finissais toujours par être la dernière à l'heure de la sortie. La maîtresse me prenait par la main et m'emmenait à la garderie pour que j'y attende mon père, le temps qu'elle l'appelle et qu'il arrive. Apparemment, la ponctualité ne lui a pas été livré lorsqu'il est parti.

Je me mets à taper du pied, l'énervement commençant doucement à monter. Je lui offre une seconde chance et il n'est même pas capable de la saisir convenablement. Je ne sais pas, mais il aurait pu faire un effort pour être à l'heure. Pour une fois. Pour sa fille. Pour moi.

Je sors mon téléphone et l'appelle sur le numéro de sa conjointe, son portable ayant des problèmes de batterie depuis quelques mois. Ça a l'air d'être une histoire compliquée de commande, confinement, livraison jamais reçue, SAV... En attendant, on a organisé ma venue avec ce numéro. Aucune réponse, juste la messagerie. Ça me fait pousser un soupir d'agacement. Cette histoire démarre bien. Parfois, je me demande pourquoi j'ai accepté de venir.

— Cassiopée ! s'exclame une voix fluette.

Je repère la personne à qui elle appartient : une fillette haute comme trois pommes, qui court vers moi. Elle manque de me renverser, faute de mon sac à dos trop lourd, quand ses bras miniatures viennent m'enlacer. Je l'admets, j'ai d'abord un mouvement de recul : je ne m'attendais pas à un contact aussi brusque et soudain. Je pensais qu'elle me dévisagerait pour savoir qui je suis ou si je mérite un sourire de sa part. Mais apparemment, la question ne lui a même pas effleuré l'esprit. Je vais mettre ça sur le compte de son jeune âge.

— Je suis contente de te rencontrer ! me dit-elle avec un large sourire. Papa parle beaucoup de toi.

Intérieurement, je ris jaune : ça m'étonnerait fortement. Mon père n'a pris aucune nouvelle de moi pendant presque sept ans. Il a refait surface il y a quelques mois, pendant le confinement, comme une fleur. Probablement pour s'assurer que j'étais encore en vie, et se donner bonne conscience par la même occasion.

— Enchantée Maëlys, dis-je en lui rendant son sourire.

— Tu vas voir, notre maison est chouette.

Je n'en doute pas. Certainement mieux que l'appart miteux qu'on occupe avec Maman depuis que je suis enfant. Celui dans lequel il n'a pas vécu, car il est parti avant. Je crois même que c'est à cause de son départ qu'on a déménagé : histoire d'argent et de souvenirs douloureux. Je n'avais qu'une douzaine d'années. Il me parlait encore à l'époque, et puis, du jour au lendemain, silence radio. Plus aucun message. J'étais habituée à en recevoir un par semaine, et d'un seul coup, je n'ai plus rien eu. Au début, je pensais que ce n'était qu'un problème de réseau ou juste un oubli, après tout, mon père était tête en l'air. Et puis, les mois se sont envolés et je n'ai plus reçu de sms avant le mois d'avril dernier. Un bref message pour prendre de mes nouvelles, comme si le temps n'avait pas passé. Comme si je n'avais pas pris sept ans entre temps. Comme s'il n'avait jamais cessé de me parler. Sur le coup, j'ai été tentée de supprimer ce message. Ni vu, ni connu. Mais une part de moi, blessée et meurtrie depuis des années, s'est réveillée et a décidé que je devais répondre. Alors je l'ai fait.

Maëlys me serre toujours dans ses bras, et je me penche pour déposer un baiser sur son front. Lorsqu'elle finit par se détacher, elle se retourne et court, ses longs cheveux bouclés volant dans son dos, vers son père. Mon père.

Il n'a pas changé. Enfin, il a pris quelques cheveux gris et de l'âge au passage, mais il est comme dans mon souvenir : souriant et rayonnant. Sa nouvelle fille le tire par le bras pour me rejoindre.

— Salut ! me lance-t-il.

Il fait mine de s'avancer pour me prendre dans ses bras, mais je recule d'un pas. Il comprend le message et s'arrête dans son geste. J'ai peut-être accepté de venir passer quelques semaines chez lui, mais je n'ai pas pardonné son silence pour autant.

— Bonjour Nathanaël.

Pas de Papa qui tienne : je ne l'ai pas vu depuis sept ans et on ne se connaît plus. Mon ton est cassant et aussi sec que l'air. Je ne suis pas rancunière en général, mais je ne peux pas pardonner son abandon. Pas sans explications.

Maëlys glisse ses petits doigts, colorés aux feutres, entre les miens, tartinés de crayon.

— Tu dessines ? me demande-t-elle en voyant le gris qui s'étale sur le dos de ma main.

J'acquiesce et elle semble toute excitée à cette idée. Elle m'explique que son père aussi et qu'elle adore faire des coloriages pendant qu'il noircit ses feuilles. Le concerné me lance un demi-sourire quand sa fille affirme que je dessine aussi bien que lui, alors qu'elle n'a jamais vu ce que je fais.

Un souvenir me revient. Mon père et moi à six ans, côte à côte, en train de dessiner ma mère. Son dessin est flou dans ma mémoire, mais je devine qu'il est réussi. Le mien est toujours accroché sur le frigo, mais le sien a disparu il y a bien longtemps. Avec lui et ses valises.

Pour briser le silence, il nous propose d'y aller. Maëlys, dont les doigts sont toujours dans ma paume, commence à courir et je manque de tomber de surprise. Je l'arrête dans son élan pour récupérer ma valise, que mon père me propose de prendre, mais je refuse. Sur le parking, la voiture est en plein soleil, ce qui est logique puisque les places à l'ombre sont toujours celles qui sont privilégiées. Dedans, c'est une fournaise, alors on laisse les portes ouvertes le temps que mon père installe Maëlys dans son siège auto et qu'il mette la voiture en route pour qu'on puisse ouvrir les fenêtres. Une fois sortis de la grosse ville du coin, on se retrouve sur des petites routes de campagne où les champs de fleurs s'épanouissent sur des kilomètres. Parfois, la lavande est remplacée par les tournesols, eux-mêmes remplacés par des céréales. Je me perds dans le paysage. Cela me change des immeubles ternes et la vie en ville trop bruyante, trop vive. Finalement, les villages reviennent après une bonne vingtaine de minutes dans la nature. Au loin se dessine la mer, et ses eaux bleues sont d'autant plus lumineuses grâce au soleil, dont les rayons dansent à la surface. Les maisons s'enchaînent et éclipsent la flore, qui s'étendait jusqu'alors. On traverse plusieurs rues vivantes de par leurs commerces, restaurants et touristes, puis on arrive dans une petite ville dont le nom résonne. Je sais alors que nous sommes bientôt arrivés.

La nouvelle maison de mon père se trouve à l'écart, entourée par des vergers et des potagers. Le domaine est immense : des arbres fruitiers s'étendent à l'horizon et des parterres floraux colorés ajoutent au décor. Maëlys avait raison : c'est beaucoup mieux que chez moi.

Au loin, sous un cerisier, je repère une jeune fille vêtue d'une robe blanche à motif de coquelicot qui semblent danser entre les branches. Elle attrape une fleur rose et la glisse derrière son oreille avant de disparaître de mon champ de vision.

Mon père se gare et éteint le moteur. Je sors de ma torpeur et retrouve la voix de Maëlys. Elle n'a pas cessé de parler du trajet, mais je n'ai pas écouté la moitié de ce qu'elle a dit, trop absorbée par le paysage local.

Dès que j'ai posé un pied par terre, je me sens bien. Je ne devrais peut-être pas, après tout, je ne suis pas chez moi et je suis une intruse dans la nouvelle famille de mon père. Celle qui a construit sans moi. Pourtant, lorsqu'il prend la parole, ses mots m'accueillent dans son foyer.

— Bienvenue chez toi.


Et bienvenue dans cette nouvelle aventure.

J'espère que ce premier chapitre vous a plu.

Pour le moment, je n'ai pas grand chose à vous dire, alors je vais vous laisser là et vous donner rendez-vous vendredi pour le chapitre 2.

À l'ombre des cerisiers fleurissent des bourgeons d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant