À l'ombre des cerisiers fleurissent des bourgeons d'amour

Chapitre 7

Les choses que l'on attend finissent toujours par arriver. Mais bien souvent, c'est au moment où on n'y pense plus.

Malheureusement, dès notre retour à la maison, Helynnah est de nouveau contrainte de repartir au cabinet. Il faut croire que le problème informatique est plus grave qu'une simple suppression.

Je me retrouve donc en tête à tête avec mon père pour le déjeuner. Et c'est gênant. On échange des regards maladroits, dans un silence lourd.

— Comment s'est passée ta matinée ? me demande-t-il pour combler le vide.

— Bien.

— Juste bien ? Où sont partis les détails flamboyants de tes histoires ? Quand tu étais petite tu pouvais raconter ton cours de maths pendant une bonne demi-heure.

— Tu l'as dit : j'étais petite.

Mon ton est piquant et je vois sur son visage que je l'ai touché en plein cœur. Le jeu éternel du pardon et de la rancune. Il n'y a ni gagnant, ni perdant, juste des personnes incapables de communiquer.

— Tu ne peux pas avoir perdu ça, ajoute-t-il comme si je n'avais rien dit. C'était ton être et ton caractère.

— C'était...

Je grignote la mie de mon pain pour éviter de m'énerver, mais il ne lâche pas l'affaire. Que veut-il entendre ? Qu'attend-t-il de tout ce cirque ? Que je m'excuse de lui en vouloir ? C'est lui qui doit me demander pardon. C'est lui qui est parti sans prévenir.

— Qu'est-ce qui s'est passé pour que ça disparaisse ?

Si jusqu'à présent je regardais mes mains, d'un seul coup je relève la tête et plante mes yeux dans les siens. Pour ne pas trop montrer ma rage provoquée par cette question, je déchire et arrache des morceaux de pain.

— Tu as vraiment besoin d'une explication, dis-je en tentant d'être le plus calme et posée possible, ce qui n'est pas aisé. Très bien, elle se résume à quatre mots : tu nous as abandonnées. Je peux ajouter au passage : du jour au lendemain, sans prévenir. Peut-être que ça t'aidera à y voir plus clair.

Niveau neutralité on repassera. Je jette mes miettes dans mon assiette et sors de table avant de dire quelque chose que je vais finir par regretter.

— Cassiopée, m'appelle-t-il d'un ton bien trop doux pour la situation.

Je ne réponds pas et je monte dans ma chambre. J'étouffe mes cris dans un oreiller. Je suis frustrée, même pas vraiment énervée en vérité. J'ai l'impression qu'il ne voit pas ce qu'il a fait, ou qu'il fait tout pour le nier. Comment peut-il être aussi à côté de la plaque ? Pourquoi semble-t-il surpris par mes réactions, comme si j'étais la seule fautive de mes émotions ? Je commence à comprendre les raisons de son départ, comment se fait-il qu'il ne saisisse pas celles de ma colère ?

Confusion. Frustration. Je suis perturbée et je ne sais sincèrement plus ce que je dois faire. Mais quand je lis le message que Maman m'a envoyé, après trois jours de silence total, je me dis que je suis mieux ici qu'avec elle. Quel genre de mère demande à son enfant où est la réserve de cornichons ? Heureusement que Mme Sochard veille sur elle, sinon je la retrouverai dans un état déplorable après trois semaines d'absence.

Ma mère a un sérieux problème avec l'alcool, surtout depuis que mon père est parti. Elle dit qu'elle gère la situation, mais en grandissant, j'ai compris qu'elle mentait. Le confinement a détruit le peu de relation qu'il restait entre nous, faisant de moi l'adulte de la maison. Quand je lui ai annoncé que je partais trois semaines, elle a tout fait pour me prouver que je pouvais rester, que je serais mieux avec elle. Elle s'est tenue loin de ses bouteilles, a retrouvé un semblant de dignité et repris en charge sa vie. Du moins, ce qu'il en restait. Je l'ai laissée faire. Elle voulait me prouver quelque chose. Je n'aurais peut-être pas dû lui faire miroiter la possibilité que je reste, mais si j'avais refusé ses efforts en affirmant que quoi qu'elle fasse, je partirai quand même, que se serait-il passé ? Je préfère ne pas y penser, car cela implique un séjour à l'hôpital et des ennuis sans précédent.