Chapitre 2

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Trois lettres auraient suffi pour tout empêcher, mais j'ai préféré deux autres. Si au début j'ai hésité à regretter, aujourd'hui, je sais que j'ai fait le bon choix.

Maëlys entre dans la maison en courant, tandis que je récupère ma valise, sortie du coffre par mon père. J'ai l'impression qu'il fait tout pour que je le pardonne, mais ce qui est de la bonté de sa part ne sert qu'à m'agacer. J'attrape mon sac à dos d'une main et le reste de mes affaires de l'autre. Sans attendre, je m'avance vers l'entrée. Le hall est calme, si on excepte le babillard ininterrompu de ma demi-sœur. Ce mot reste bloqué dans ma gorge : je le trouve tellement péjoratif pour décrire ce petit ange, un peu bruyant certes, mais tout de même adorable.

— Pose tes affaires dans l'entrée va, me conseille mon père. Je vais te faire visiter et ensuite, tu t'installeras dans ta chambre.

Je m'exécute et le suis dans la pièce adjacente, qui s'avère être la cuisine. Elle est lumineuse et grande, ça change de la pauvre kitchenette à laquelle je suis habituée. Quatre chaises sont sagement installées autour de la table et un poisson rouge tourne dans son bocal à l'extrémité du plan de travail. Je m'approche du petit aquarium sentant la nostalgie monter. J'en avais un quand j'avais l'âge de Maëlys.

— Je te présente Nemo-Dory. C'est Maëlys qui a choisi son nom.

L'originalité me donne le sourire. Elle ne s'est pas contentée d'un prénom connu, mais de deux.

— Tu te souviens, tu en avais un semblable quand tu étais petite. Il s'appelait...

— Nageoire, dis-je en me revoyant avec mon père à l'animalerie.

— Exactement. C'était original et ça nous a toujours fait rire avec ta mère.

A la mention de Maman, je sors de ma torpeur mélancolique et je demande si on peut continuer. Ce souvenir m'a bien plus ébranlée que je ne voudrais l'admettre : il date d'une époque où on formait une famille heureuse et unie. Une période qui n'existe plus depuis des années maintenant.

Mon père me montre le salon et la salle à manger, qui ne forment qu'une seule et même pièce, en face de la cuisine. Sur la table basse, devant le canapé, s'étalent des feutres en vrac et des coloriages à moitié colorés. Je devine l'œuvre de Maëlys dans ce désordre.

La baie vitrée, située au fond, donne sur le jardin et une terrasse couverte. Elle est légèrement ouverte, et je comprends pourquoi en voyant un chat roux se prélasser au soleil.

— Un chat et un poisson rouge ? Risqué comme pari.

— Détrompe-toi, ils cohabitent sans accro.

— C'est quoi son petit nom ? Garfield ?

— Tu manques de créativité, se moque-t-il. On l'a appelé Fifi.

— Fifi ? Ce n'est pas le nom d'un canard ?

— Je crois, mais une fois de plus, ce n'est pas de mon ressort.

— C'est Maëlys qui a choisi, c'est ça ?

— C'est ça, rit-il.

Je souris et nos yeux se croisent. Même si je suis en colère contre lui, je dois admettre que mon père n'a pas vraiment changé. Ses mimiques, son rire et sa voix sont restés identiques, et l'enfant en moi à qui il manque le sait parfaitement. Je dois résister. Trois semaines et ensuite, ça recommencera comme avant. Il m'oubliera. Si je m'attache, qui sait ce que je serai après un nouvel abandon.

— Je t'avoue que je préfère Nemo-Dory, commente-t-il.

— Moi aussi, dis-je d'un ton distant et en détournant le regard.

À l'ombre des cerisiers fleurissent des bourgeons d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant