Je tape du poing sur la table violement, attendant qu'il me regarde dans les yeux.
- Tu m'avais promis 500$. Dis je, calmement.
Tak jette un coup d'oeil à ses confrères, peut-être a-t-il peur qu'on découvre qu'il ne tient pas ses promesses. Et pour un chef de réseaux ça serait un comble. J'ai le regard dur et déterminé, j'ai besoin de cet argent. Après quelques minutes à se regarder en chien de faïence, il souffle avant de sortir une liasse de sa poche et de la lancer sur la table, en face de moi. Je lui jette un dernier regard avant de prendre l'argent et de dégager dans ma chambre, sentant très bien les regards insistants de ces dizaines d'homme sur moi. J'enfonce la clef dans la serrure avant d'entrer dans ma petite chambre. Je soulève le matelas et une latte de parquet pour mettre la liasse dans mon enveloppe.
Cela va faire 14 ans que je vis ici, mais je compte bien m'en aller dès que cette enveloppe sera assez grosse. Il doit me rester encore un mois avant de pouvoir me barrer de ce trou sombre. C'est Tak qui m'a ramené ici, il m'a dit que mes parents m'ont abandonné. Qu'il ne chercheront pas à me retrouver. Et il ne devait pas avoir tort parce que je n'ai plus jamais entendu parler d'eux et je ne me souviens plus de leurs visages, alors j'ai classé ça comme de l'histoire ancienne. Alors Tak m'a dit de m'adapter. Il m'a beaucoup parlé pendant ces soirs à table où je mangeai ce qu'il me donnait. Il m'a dit "Si tu veux garder cette chambre, tu vas devoir travailler pour moi" alors j'ai accepté, ne voulant pas me retrouver toute seule dehors. J'ai commencé par faire le ménage dans cet immense hangar et les appartements qui sont au dessus. De ce que j'ai compris il y a de ça quelques années, c'est là qu'il stock tous ces produits illégaux. Enfin, illégaux à Dengar. Cette haute société croit nous connaitre mais ils ont tort, ils essayent de nous contrôler mais ils en sont incapables. Leurs ridicules descentes dans nos quartiers sont inutiles.
Mais malgré ça, j'ai directement su que je devais faire des économies. Enfin, seulement à partir de mes 10 ans parce qu'avant j'achetais de quoi améliorer mon quotidien. J'ai donc investi avec ma petite paye de fille de 6 ans dans un miroir, une lampe, des vêtements, un sceau et du savon. Mais c'est presque impossible de garder quelque chose de propre ici, parce que depuis que je livre les colis de Tak, je parcours les toits du quartier et ces derniers ne sont jamais nettoyés, alors j'ai presque abandonné les lessives. Mais le bon côté de ces livraisons c'est que je connais les toits comme personne, après avoir passé 10 ans à les parcourir nuits et jours. Et depuis quelques années je m'amuse à aller explorer les toits de Dengar, certes c'est plus compliqué mais je trouve ça excitant, du fait que je n'ai pas le droit d'y aller.
Même avec les interdictions de Tak je suis descendue des toits de cette ville et je suis allée dans une bibliothèque. Parce que l'une de mes passion est la lecture et rien que de passer quelques heures dans ce bâtiment m'a rappelé mon âme d'artiste que j'avais perdu. C'est ce jour là que j'ai rencontré Milton. Même si je m'étais interdit tout contact avec la haute société, ce gars là était différent, et je ne sais même pas pourquoi j'ai accepté de lui parler. Mais je ne l'ai vraiment pas regretté, on s'est revu encore et encore, il m'apprenait des choses que j'ignorais comme les maths, les sciences, les différentes formes d'Art... C'est lui qui m'a poussé à dessiner à nouveau. Je me souviens que je dessinai étant petite mais je n'ai jamais repris un crayon gris pour dessiner à nouveau. Depuis, j'ai un petit carnet dans ma chambre du hangar.
Je suis restée en contact avec Milton et il est devenu mon meilleur ami, j'ai rencontré son père une fois. Edgar Roy. Un homme qui illustre parfaitement la haute société que je hais tant, pourtant je n'arrive pas à le haïr, peut-être parce qu'il m'a offert un repas très gourmand un soir où mon ventre gargouillait comme un forcené. Il ne m'a pas regardé comme me regardaient les gens qui me croisaient dans la rue où sur leur terrasse quand je courais sur les toits. C'est là que Milton m'a parlé de cette Université d'Art à l'est de la ville, je me suis renseignée et elle est devenue un but pour moi. Je veux intégrer cette Université.
J'arrive à la fenêtre de Milton qui est grande ouverte, la pièce est dans l'obscurité, comme d'habitude. J'entre, pose mon sac et tire les rideaux avant d'allumer la lumière. Je m'étire avant d'aller m'enfermer dans la salle de bain pour prendre une douche rapide. Je m'habille de mon sweat et jean habituels que je laisse propres ici. Je retourne dans sa chambre. Milton est sur son ordinateur, assis sur son lit. Je le rejoint pour m'étendre à mon tour sur le matelas. Rien à voir avec le matelas de ma chambre.
- T'as fait bonne route ? Il me demande.
- Comme d'habitude, mais j'ai remarqué que des flics trainaient plus en bas du mur, j'ai peur qu'ils retirent l'antenne. Lui avouais-je.
Pour passer le mur de plusieurs dizaines de mètres de haut, je monte en haut d'une antenne avant de faire un saut pour atterrir en haut du mur.
- Oui apparemment il va y avoir une descente massive dans quelques heures, j'ai entendu mon père en parler. Mais j'ai pas réussi à savoir où ils allaient. Me dit Milton.
Je me redresse, si le père de Milton en parlait c'est que ça ne va pas être une simple descente comme à leur habitude, mais bien quelque chose de plus gros. Soudain, je pense à Tak. Quand je suis partie il était en réunion avec les plus gros trafiquants qui entourent la ville. Cela n'annonce rien de bon. . . Milton se lève pour se diriger vers son placard. Il en sort un petit sac gris qu'il me tend.
- Qu'est ce que c'est ? Je demande en fronçant les sourcils.
- Une avance pour ton anniversaire. Il me dit en souriant.
Je plonge ma main dans le sac pour en sortir une sorte de palette de crayon. Je l'ouvre pour découvrir la trentaine de crayon de couleurs exposée dans sa boite de satin gris.
- Milton, c'est magnifique !! Je m'exclame en lui sautant dans les bras.
- Je t'en prie ma belle.
Il n'y a jamais eu de sentiments amoureux entre Milton et moi. On a toujours été proches sans aucune ambiguïté, je le soupçonne même d'être gay, mais je vais attendre qu'il m'en parle de lui même.
Après une belle soirée passée en sa compagnie, un bon repas et un film, je me décide de rentrer. Milton a cours demain et je ne veux pas traîner avec cette descente massive. Je le remercie avant de le prendre dans mes bras pour la centième fois de la soirée. Je me change, prend mes affaires et saute par la fenêtre. J'empreinte le même chemin qu'à l'aller et, à mon grand soulagement, l'antenne est toujours là. Je reviens sur mes pas jusqu'au hangar. Mais mon coeur rate un battement quand je découvre les sirènes et les alarmes hurler dans tous les sens avec des dizaines de voitures postées devant le bâtiment.
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Dengar
RomanceDans un monde d'après-guerre en pleine reconstruction gouverné par la haute société, Ska doit survivre. Après l'incendie qui l'a séparé de ses parents, elle a été élevée dans la misère et la pauvreté. Mais à quelques mois de sa majorité, elle va fai...