Je saute sur le toit d'en face pour pouvoir les suivre en contre bas, je ne sais pas encore où ils vont alors je vais devoir me faire un nouvel itinéraire sur les toits, j'espère ne pas me retrouver bloquée. Les voitures avancent dans les rues déjà pleines de monde, pas étonnant à cette heure ci, surtout quand on arrive près du quartier des affaires. Ces gens là sont la crème de Dengar, de vrais petits fils à Papa, il suffit que ce dernier soit haut placé dans Dengar et vous naissez avec une petite cuillère en argent dans la bouche. Ces gens là n'ont jamais vraiment travaillé et ne travaillerons sûrement jamais de leur vie. Certains ont le luxe de s'acheter une villa en bord de mer ou en montagne, tandis que juste de l'autre côté de ce mur, des familles entières meurent de faim. Mais le gouvernement n'en a que faire, il leur suffit de fermer les yeux sur ce qu'il se passe en bas.
Je saute sur un nouveau toit, le convoi s'arrête devant l'immeuble d'en face, pas aussi haut que la majorité de la ville, mais il a sa hauteur. Je m'approche du vide. Quand certains habitants me voient, il y a deux réactions, certains s'en fichent complètement, comme si c'était normal et d'autres pensent que je veux me suicider et pour moi, ces gens là ont peut-être encore un peu d'humanité en eux. Je vois alors le Capitaine sortir de la voiture de tête, suivi par ses collègues. Je sais qu'ils ne font que leur travail, mais je suis aussi certaine qu'il n'avait pas à prendre mes dessins !!
Le toit de l'immeuble où ils entrent est encore trop loin du mien, impossible de m'y rendre. Je m'assoie, en attendant que le Capitaine veuille bien ressortir pour rentrer chez lui.
Allongée sur le bord du toit, je scrute le ciel bleu de la fin de journée. J'apprend à entendre tous les bruits de la ville, j'apprend à distinguer le bruit d'un moteur thermique de derrière le mur au bruit d'un moteur électrique en bas. Les gens qui parlent, les portes qui se ferment. Les klaxons, le tram qui passe et où il va, les oiseaux très haut dans le ciel et ceux qui font la course à travers les immeubles. J'ai d'ailleurs failli m'endormir en milieu d'après midi. J'ai fait le tour de l'immeuble pour m'assurer qu'il n'y avait pas plusieurs entrées principales. Le soleil décline peu à peu, je commence à me rendre à l'évidence, je ne retrouverai jamais mes dessins. A tous les coups, ils ont été mis dans un emballage plastique avec une étiquette inscrit "Dessins d'une prénommée Ska, PS : elle est bête d'avoir signé" puis rangé dans un casier parmi tant d'autres affaires non classées.
Je soupire quand le bruit de la porte de l'immeuble d'en face me parvient aux oreilles. Je tourne la tête et manque de tomber dans le vide quand je vois le Capitaine sortir du bâtiment avec mes dessins toujours dans la main. A croire qu'il ne les a pas posé depuis ce matin. Je m'accroupis pour le suivre des yeux. Il se dirige vers le grand parking qui borde l'immeuble. Après quelques minutes, je le vois ressortir dans une BMW i8 noire. Je ne dois pas le quitter des yeux. Je prend mon élan et saute sur le toit suivant. Et me revoilà partie dans une course folle à travers Dengar. Le soleil couchant me nargue de ses rayons en m'aveuglant par moment.
Après quelques minutes qui me semblent interminables, parce que oui, Païkan a le pied lourd sur la pédale, il plonge sous un immeuble dans un parking sous-terrain. Alors là, je remercie la nuit d'être tombée. Je vais devoir observer l'immeuble jusqu'à ce qu'une lumière veuille bien s'allumer dans son appartement. J'observe l'immeuble, je ne me suis jamais infiltrée dans un autre appartement que celui de Milton, mais j'ai bien l'impression que le style ancien de l'immeuble va bien m'aider avec ses grandes colonnes de pierre.
C'est alors qu'une lumière s'allume, je plisse les yeux pour voir qu'il s'agit d'une femme qui rentre chez elle, raté. C'est alors que juste un peu plus haut, je vois mon Capitaine entrer chez lui. Tu as dis "mon" cette fois. Je fais taire ma conscience et redescend de mon immeuble pour monter par les escaliers de secours, atteindre une grande colonne de pierre et enfin atterrir sur le balcon au dessus de celui du Capitaine. Je vérifie une dernière fois avant de me laisser descendre sur le balcon.
Je prie intérieurement, et un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres quand je vois la baie vitrée légèrement ouverte. Je dois faire vite. Je m'approche, l'appartement est chaleureux, dans les tons chauds et gris. La grande télé murale me donne envie de me prélasser sur le canapé. Je me reprend avant d'ouvrir sans un bruit la baie vitrée pour me glisser à l'intérieur. Je ne bouge plus et écoute autour de moi. L'eau coule dans la salle de bain. Bingo. Ça me laisse un peu de temps. Je me dirige sur la pointe des pieds vers l'entrée, rien sur le meuble ni la table de la salle à manger. J'espère que l'appartement n'est pas trop grand. Le séjour est immense par rapport à mon ancienne chambre mais aucune trace de mes dessins. C'est pas possible où est-ce qu'il a bien pu les mettre ? J'espère intérieurement qu'il ne les a pas pris avec lui dans la salle de bain. Tu aurais été ravie d'aller les chercher. La ferme ! L'humidité et le papier ne font juste pas bon ménage.
Bon, je dois me rendre à l'évidence, rien dans la cuisine, rien dans le salon, rien dans la salle à manger. Je dois entrer dans la chambre, il ne me reste plus beaucoup de temps. Si je me fais prendre c'est l'internement direct dans leurs prisons infantiles. Hors de question. Je me dirige vers la porte après avoir vérifié si l'eau coulait toujours. Je pose ma main sur la poignée. Aller, juste un coup d'oeil. J'appuie sur la poignée avant de passer ma tête à l'intérieur. Ouf, la salle de bain est dans une pièce attenante. Même si tu aurais adoré qu'elle ne le soit pas.
J'entre avant de faire un pas. Soudain, le parquet craque sous mes pieds, me glaçant le sang. Je ne bouge plus d'un poil. L'eau coule toujours. Ouf. Je continue mon chemin. Je reste ébahie devant la beauté de la chambre, ça paye si bien d'être capitaine ? Les gros rideaux de velours sont tirés, un gigantesque lit trône au milieu de la chambre. Je m'en approche pour poser ma main sur le dessus du lit qui m'arrive presque à la taille. C'est si doux. . . Cela faisait si longtemps que je n'avais pas touché quelque chose d'aussi doux. La chambre sent un parfum qui m'est encore inconnu. Il émane de la grande commode de bois, je m'en approche. Un flacon de parfum y est posé avec une plante verte sur le point de fleurir. Je saisi le flacon avant de le porter à mon nez, une odeur de musque m'envahi les narines. Je n'ai jamais senti quelque chose comme ça, c'en est presque envoutant.
Je repose le flacon exactement au même endroit avant de comprendre que l'appartement ne contient aucune photo. Pas que je porte de l'intérêt à des photos mais les gens qui vivent ici ont le budget de s'en faire développer, ils ont tous des gens qu'ils aiment. Milton a plein de photos de ses amis et de sa famille. Cet homme n'a donc pas de famille ? Un pincement au coeur me touche la poitrine. Mais je reviens vite à la réalité quand je vois un grand bureau en bois au fond de la pièce. J'entends toujours l'eau couler quand je m'en approche. Une plaque dorée est posée sur le bureau, il y est inscrit "Revan Païkan". Revan. Un long et délicieux frisson me parcourt le dos quand je répète son prénom dans ma tête. Une lampe dorée style industriel est posée sur l'angle gauche du bureau. Un ordinateur et une nouvelle plante font aussi partis du décor. Mon regard se porte sur la grande chaise de cuir noir derrière le meuble. C'est si masculin. Et si agréable. Je ne démens pas, c'est vrai.
Ces odeurs, ces sensations, ces objets, ils m'ont l'air tout à coup familier, mais je ne saurais dire pourquoi. Je tourne la tête et découvre un grand dressing. Pourquoi avoir autant de vêtements ? Je m'approche et découvre des costumes qui auraient été capables de financer une vie entière de l'autre côté du mur. J'effleure le tissu de mes doigts, non, deux vies entières. Un sentiment d'injustice me vrille soudainement l'estomac. Je me détourne du costume pour voir d'autres tenues, plus à mon goût. Un gros sweat noir qui m'a l'air extrêmement chaud me fait de l'oeil, je suis certaine qu'il sent exactement la même odeur que l'appartement et le flacon. Après un petit moment d'hésitation, je saisi le vêtement pour le porter à mon nez. Je prend une grande inspiration, avant de gémir de plaisir face à cette odeur incroyable. . .
Soudainement, des lumières dans le dressing s'allument. Tout mon corps se contracte quand je vois l'imposante silhouette du Capitaine se dessiner à quelques mètres de moi. Je suis foutue.
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Dengar
RomanceDans un monde d'après-guerre en pleine reconstruction gouverné par la haute société, Ska doit survivre. Après l'incendie qui l'a séparé de ses parents, elle a été élevée dans la misère et la pauvreté. Mais à quelques mois de sa majorité, elle va fai...