Chapitre 5

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Mon coeur fit un bond. Je regardai Elena, cherchant un peu de soutien. Mais elle se contentait de le regarder d'un air ébahi. Je me retournai donc vers l'importun, le visage durci, et sifflait entre mes dents :

"Adam. Qu'est-ce que tu fous là ?

-Je te retourne la question, dit-il en me décochant un sourire éclatant.

-Eh bien comme tu peux le deviner, je vais à Londres. C'est bien là la destination de l'Eurostar, non ?

-Quelle coïncidence ! J'y vais aussi ! Après tout, c'est là que va l'Eurostar ! Quelle pertinente question...

-Comment être pertinent face à un salopard porté disparu depuis onze mois ?

-Je te prierais de surveiller ton langage. Je n'ai pas disparu, j'étais en voyage."

La colère montait en moi. Je tentai de me calmer.

"Ah oui ? On peut savoir où ?

-Figure-toi que j'étais en Amérique.

-Non ? Sans blague ? Etonnant pour un Américain.

-Mais pourquoi es-tu si remontée contre moi ?"

C'en était trop. Je me levai d'un bond, mes yeux lançant des éclairs.

"Tu te fous de ma gueule ? Tu m'as dit que tu allais faire une course !!! Tu sais combien de temps je t'ai attendu, bordel de merde ?! HUIT MOIS ! Deux cent quarante-huit jours, cinq mille neuf cent quatre heures, BORDEL ! Pas une MINUTE sans que je pense à toi, et toi, pendant ce temps ? En voyage ! T'as rien trouvé de mieux pour te justifier ?! Même pas une explication, un SMS de rupture, RIEN ! Je croyais que t'étais mort, putain ! Tu vaux même pas la peine d'être regardé."

Durant tout ce temps, il me regardait en souriant. Il laissa échapper un petit rire sur la fin. Je sentis que je me ridiculisais. Tout le monde nous regardait. Certains passagers s'étaient même levés. Elena, figée sur place, n'avait même pas esquissé un mouvement.

Je me rassis, serrant la mâchoire. Il se redressa et passa une main dans ses cheveux, avec toujours le même sourire sur les lèvres. J'avais envie de l'assassiner. Lorsqu'il ouvrit finalement la bouche, il déclara : 

-Bien ! Sinon, tu voudrais bien me prêter un stylo ?"

Une vague de haine me submergea. Comment avais-je pu le supporter ? Il était odieux. Je le détestais. Je fermai les yeux, essayant de réfréner ma fureur. Je m'entendis murmurer "Va-t'en." J'enfonçai rageusement mes écouteurs dans mes oreilles et fis en sorte de calmer les battements de mon coeur. Nous allions arriver, descendre de ce train, aller à notre hôtel et tout irait bien. Je ne le reverrais plus jamais. Plus jamais son sourire narquois, ses remarques perfides. Je rouvris les paupières. Elena me regardait d'un air perdu. Je réussis à lui sourire. Elle avait compris qu'il ne fallait pas me parler, pas maintenant.

Le train stoppa dans un grand bruit de ferraille. Je récupérai mes affaires et nous sortîmes rapidement ; je ne voulais surtout pas le croiser.

Arrivées devant la gare, j'envoyai un texto à ma mère ; par chance, j'avais un forfait qui me permettait la communication à l'étranger. Nous nous dirigeâmes vers les taxis, demandant à chacun si c'était nous qu'il était censé transporter. Réponses négatives pour tous. Je m'impatientais sérieusement. Après une dizaine de minutes à interroger tout autour de nous, nous étions revenues au point de départ. Je laissai tomber ma valise.

"Mais qu'est-ce que c'est que journée de merde !"

J'avais hurlé. Je glissai au sol. Elena s'assit à mes côtés.

"T'inquiète, dit-elle doucement. Il est juste en retard.

-Non, il n'est pas en retard. Il ne viendra pas. On va devoir aller à l'hôtel à pied, et à coup sûr on se retrouvera dans la chambre à côté de celle d'Adam, et on n'ira pas à la séance de dédicaces parce qu'il est déjà plus de midi, et on ne fera rien de ce qui était prévu puisqu'à chaque fois qu'on voudra faire quelque chose ce sera compromis !!!"

Je pleurais à présent. Elena, désolée, me prit dans ses bras.

Le fait est que j'avais raison sur un point : le taxi ne vint pas. Après une demi-heure à l'attendre, ne sachant plus que faire, nous tentâmes d'en héler un sur l'avenue la plus proche. Peine perdue. C'est désespérées que nous décidâmes de rentrer à pied.

Le plan de Londres à la main, nous tournâmes et tournâmes et tournâmes encore dans les petites rues, jusqu'à arriver à un grand boulevard. On échangea un regard. Pas de voiture en vue, nous nous engageâmes sur le passage piéton. C'est alors (évidemment) qu'un van que nous n'avions pas entendu déboula sur la chaussée. Je poussai un cri, fis un bond de côté mais le véhicule, lancé à toute vitesse, percuta ma valise qui s'ouvrit d'un coup, libérant tout son contenu. La voiture s'arrêta à quelques mètres et le conducteur en sortit... Oh non, ça ne pouvait pas être vrai...

"Alors, je te manquais déjà ? lança Adam, moqueur.

-Ferme-la ! Regarde ce que tu viens de faire ! Tu m'aides à ramasser maintenant !"

Il rit et, sans s'excuser, retourna vers sa camionnette. C'est alors qu'Elena, qui avait été suffisamment rapide pour n'avoir rien d'abîmé, décida d'intervenir. Elle eut un sifflement de frustration et se dirigea résolument vers le malotru. Lui la regardait venir en souriant. Brusquement, avec une force que je ne lui connaissais pas, elle le plaqua contre la portière avec de la rage dans les yeux. Je vis ses lèvres s'étirer en un rictus sadique, s'agiter contre l'oreille d'Adam, qui lui pâlissait à vue d'oeil. Finalement, elle le lâcha ; son expression s'était transformée en un sourire satisfait. J'étais stupéfaite, et impressionnée. Elle venait de remettre à sa place, et avec classe s'il vous plaît, un macho arrogant, lequel, ayant perdu toute dignité, rangeait à présent les affaires éparpillées.

Une fois la tâche finie, il partit sans un mot. Je pris Elena dans mes bras et la remerciai.

"Je ferais n'importe quoi pour toi, répondit-elle en souriant. Je sais que toi aussi."

Une fois finies les effusions, il fallut nous rendre à l'évidence : nous n'arriverions jamais à temps à la séance de dédicaces. De nouveau sans espoir, la situation laissait pourtant apparaître quelques aspects positifs... Et soudain, un sourire se forma sur mon visage. Je venais d'avoir une idée...

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Boom.

 

Quarante-huit heures pour aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant