Onzième

14 2 1
                                    

J'avais fini de pleurer. J'en avais assez, je ne voulais pas passer le reste du séjour à me morfondre sur mon "sort", pour la première fois, j'allais écouter Manon. Je devais tout révéler à Jacob. Je m'étais habillée entre deux larmes, j'avais maintenant les yeux bien rouges et le visage tout boursouflé. Je m'en fichais, je ne pouvais pas vivre de la sorte. En sortant de la chambre, je croisai Paul qui m'observa, inquiet. Je lui pris la main et il ne rechigna pas. Nous descendîmes les escaliers ensemble, trouvant alors nos compagnons assis sur le sofa. Ils interrompirent leur conversation et se retournèrent vers nous. L'une était impatiente, curieuse, l'autre était confus, perdu. Je m'arrêtai dans ma course, entraînant Paul brusquement.

- Punaise, détends toi, dit-il en arrachant son bras du mien.

- On m'explique ? demanda Jacob, complètement tourné vers nous, les yeux rivés sur nos mains.

Nous étions debout, devant lui, tels deux enfants ayant fait une bêtise, qui s'apprêtaient à tout révéler à leurs parents. C'était exactement le cas, nous avions fauté. Je me raclai la gorge et jetai un coup d'œil à Manon, qui m'encouragea du regard.

- Je...je tiens d'abord à m'excuser. Paul et moi, nous nous sommes connus lorsque nous avions seize ans. Le même été, nous sommes partis en vacances pendant deux semaines dans le Sud de la France. Ton père et le sien étaient meilleurs amis, ta famille avait donc été invitée à dîner avec nous, c'est ce soir-là que tu m'as écrit ton numéro sur mon bras. Je souris, nostalgique. Mais, j'appréciais Paul, et, je ne te connaissais pas. Puis, est arrivé le moment où tu m'as déballé toute ta vie, comme si nous nous étions toujours connus. J'étais si touchée et je me sentais honorée de faire partie de ton cercle de confiance. Le lendemain, Paul m'a emmenée voir le lever du soleil sur la dune, c'était l'un des moments les plus magiques de ma vie, mais tu étais toujours dans un coin de ma tête. Et, tu as été invité à la fête d'anniversaire de Paul, quelques jours après. Tu avais tenté de me séduire, mais j'étais dans un rush, je devais organiser la surprise de Paul...

- Je me souviens, dit Jacob, le visage fermé.

- Ce soir là, j'avais tellement ri. Je vais pas m'éterniser, mais lorsque nous sommes rentrés à Paris, je suis allée chez Paul. Nous nous sommes embrassés et, nous avons couché ensemble. Ce n'était pas prévu, nous étions juste dans l'euphorie de l'instant.

Paul se tourna vers moi -il avait les yeux rivés vers le sol durant tout mon monologue-. Il voulut me prendre la main mais je le repoussai. Je m'assis, il me fallait une grande bouchée d'air frais.

- Continue, m'ordonna Jacob, toujours plus sérieux.

- Laisse la respirer, répondit fermement Paul.

- Je ne crois pas t'avoir adressé un mot, à toi, se braqua Jacob.

Paul leva les yeux au ciel et s'assit. Je repris, sous les trois paires de yeux, attentives à chacun de mes faits et gestes.

- Nous avions seize et dix-sept ans, nous étions jeunes, insouciants, loin d'être innocents mais nous ne connaissions rien à la vie. En parlant de vie, suite à cette fameuse nuit, j'appris que j'étais enceinte. Je ne savais pas comment l'apprendre à mes parents, et Paul appréhendait énormément la réaction de ses parents, très conservateurs, enfin, surtout sa mère, qui ne pouvait pas me voir en peinture. J'ai pleuré de longues nuits, de peur de me faire renier, ou de perdre le respect de mes parents, et de Paul. Finalement, j'ai dû avorter. Mes parents étaient furieux contre moi, contre Paul, contre les parents de Paul, contre la terre entière. Les Brassin, quant à eux, ne me considéraient plus, la mère de Paul ne voulait plus que son fils ait affaire avec une "fille de mon genre", comme si j'étais tombée enceinte seule.

Paul se racla la gorge, comme pour rappeler qu'il était là. Je l'ignorai.

- Bref, c'était donc le fameux ultimatum, Paul devait choisir, sa mère ou moi. Il ne voulait pas, il ne pouvait pas choisir. Il décida donc de me tromper, que j'aie une raison de le quitter. Il me trompa avec Manon, je suppose.

Elle se leva légèrement et leva la main en souriant légèrement embarrassée. Jacob se tourna vers elle et se concentra sur moi.

- Voilà. Comme le voulu sa mère, nous nous séparâmes. La relation que j'avais avec mes parents était fragilisée, je ne leur parlais que très peu. Heureusement, Elsa et Théo étaient là pour moi. Puis, tu es revenu de Malaisie, tu ne m'avais pas oubliée. Tu étais comme un brin de lumière dans la pénombre. Avec toi, j'avais l'impression que je pouvais recommencer une nouvelle vie, là où rien ne se serait passé, j'avais effacé l'ancienne Manon, que tu n'as pas réellement connue. J'étais une femme nouvelle, tu m'as redonné goût à la vie, tu étais ma lueur d'espoir. Je t'en serai à jamais reconnaissante. Vint le décès de mes parents et notre emménagement dans leur maison. Les Brassin avaient déménagé depuis belle lurette, je n'avais plus aucune nouvelle d'eux. J'avais réussi à me reconstruire avec toi, jusqu'à ce que ta mère nous annonce que nous allions cohabiter, à l'autre bout du monde avec deux inconnus. Je n'étais pas contre, jusqu'à ce que je découvre Paul. Comprends moi, nous avions vécu beaucoup de choses ensemble, et aujourd'hui, je me rends compte que c'était bien plus qu'une amourette, nous avions grandi ensemble, nous étions passés du stade d'adolescents pré pubères, à des adultes, en seulement quelques mois. Au début, je me dis que je n'allais pas lui parler, que je vivrais ces vacances avec toi, rien qu'avec toi. Mais, je ne pouvais pas passer outre toutes les épreuves traversées avec Paul, c'était quelque chose qui était, qui est et qui restera encré en moi toute ma vie. Il fallait que je mette en place le déroulé de notre séjour, le mettre en garde et tout mettre au clair, mais...je ne sais pas, nous nous sommes embrassés. Je me rendis compte que, je t'aimais, Jacob, mais, j'étais amoureuse de Paul, et ça, rien ni personne ne pouvait y faire quelque chose.

Un lourd silence s'installa après que j'aie prononcé ces derniers mots. Jacob passa ses mains sur son visage. Il prit une longue inspiration et se leva. Il se mit dos à nous, la tête en l'air, il respirait fort. Puis, il se tourna brusquement.

- C'était quand ?

- De...de quoi ? bégayai-je, apeurée.

- LE BAISER.

- Hier soir, dit Paul, le regard froid.

Jacob rit nerveusement et s'avança dangereusement vers Paul. Celui-ci ne recula pas, au contraire, il poussa Jacob. Je ne pouvais rien faire face à eux à part crier, lorsque je vis un, puis, deux coups partir. Manon était tout aussi insignifiante face à leurs vingt centimètres de plus que nous. Autant Paul que Jacob étaient défigurés. L'un avait la lèvre inférieure ouverte et couverte de sang, tandis que pour l'autre, c'était l'arcade sourcilière. Je n'avais jamais vu Jacob se battre et encore moins Paul. J'étais choquée, triste, énervée, j'étais impuissante, je ne savais pas vers qui me diriger. Ils s'arrêtèrent enfin, sûrement ayant les poings fatigués. Manon alla voir Paul, tandis que je n'osais pas me diriger vers Jacob, il devait me détester. Je tentai tout de même. Il s'était assis et avait la tête entre les mains.

- Jacob ? demandai-je hésitante.

Il ne dit rien pendant un moment.

- Quoi ? dit-il toujours la tête baissée. Des gouttelettes de sang coulaient sur le sol, ornant alors son tee shirt blanc.

- Je suis désolée. Sache que je t'aime énormément.

Il leva enfin la tête. Il pleurait.

- Pas autant que moi.

Sur ce, il se leva et monta à l'étage.

Sunset Lover - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant