Deuxième

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C'était le grand départ. J'avais troqué mes tailleurs et talons noirs pour un leggings de sport et un des gros pulls à capuche de Jacob. Pas commun pour des vacances à l'autre bout du monde vous me direz, mais la clim dans l'avion est juste affreuse, je serais capable d'y attraper froid. Jacob ne voulait pas prendre en considération mes conseils, il avait carrément opté pour un short et un tee-shirt. Il s'obstinait à me répéter qu'il avait toujours pris l'avion dans cette tenue là et que ça ne lui avait jamais porté préjudice. Je me forçais à le croire.

Nous étions chez Louis, le frère de Jacob, il avait accepté de garder Polly pendant nos deux semaines d'absence. Sa femme, nous donnait un tas de choses à donner à Anaïs, Louis était complètement désintéressé, trop concentré à siroter une bière avec son frère. Nous avions bien douze heures de vol devant nous. J'avais préféré un vol de nuit, le temps passerait plus vite à mon sens. J'essayais tant bien que mal de faire rentrer au fur et à mesure, dans mon sac, ce que me donnait Marie mais ça en devenait impossible.

- Mon Dieu, pourquoi est-ce qu'elle a besoin d'autant de choses ? dis-je en parlant d'Anaïs.

- Oh non, c'est tous les cadeaux de Noël depuis cinq ans, les cadeaux d'anniversaire, de fête des mères, grands mères et puis des petites bricoles que je lui achetées, dit Marie en pliant quelques vêtements. On savait que vous serez les seuls à aller la voir.

J'acquiesçai en entassant le plus de choses possibles dans mon sac.

Marie et Louis s'étaient mis ensemble un an avant Jacob et moi, il y a sept ans. Ils vivaient cachés pendant la première année, estimant que leur relation n'allait pas durer, que c'était une amourette. Marie était adorable, elle était généreuse et magnifique. Elle avait donné des jumelles à Louis, qui lui, était apaisé. Sa relation avec Jacob avait évolué dans le sens où ils pouvaient aborder des sujets sérieux ou pas, ils s'étaient beaucoup rapprochés. J'avais trouvé ma place parmi cette grande fratrie. Sous leurs airs de grands riches, ils étaient attachants et vraiment pas vantards.

Je ne pouvais plus rien faire rentrer dans mon malheureux sac à main qui tendait à se déchirer.

- Jacob, tu voudrais bien aller me chercher ma valise dans la voiture ? lui demandai-je, en l'interrompant dans sa discussion captivante sur le sport que les jumelles devraient pratiquer, avec son frère.

Il posa sa bière et passa devant moi, un baiser sur la joue au passage. Je souris et fermai mon sac, sous le regard attendri de Marie.

- Alors, enfin prête pour le grand voyage ? Ça va vous faire du bien de vous retrouver tous les deux, dit-elle presque en chuchotant, à l'abri de Louis.

- M'en parle pas, j'ai hâte de me dorer la pilule pendant deux semaines !

- En parlant de pilule, tu la prends toujours ?

Marie n'avait franchement aucun filtre. Elle avait beau faire partie de ces familles bourgeoises, elle savait rester naturelle.

- Oui, je ne peux pas me permettre de tomber enceinte pendant mes études, Polly génère assez de pression en moi, alors un enfant, non merci, sans vouloir t'offenser.

Elle rit et se retourna vers ses filles, qui couraient autour de la table en verre du salon, parfaitement décoré. Les tons étaient blancs, l'ambiance chaleureuse, sûrement due aux chandeliers en bois qui ornaient la cheminée. L'une d'entre elles tomba sur les genoux, heureusement, le tapis était fait de mousse. Marie avait vraiment tout prévu, elle était née pour être mère.

- Regarde moi ces bouts de chou, je les mangerais volontiers en période de crise, dit-elle en les observant courir. Louis, fais gaffe à ce qu'Olive tombe pas contre le coin de la table, s'il te plaît, dit-elle en se retournant vers moi.

Louis gémît légèrement, complètement détaché de ce que disait sa compagne. Leurs deux filles s'appelaient Olivia et Armenía, ces noms, je les trouvais magnifiques. D'où leur est venue cette idée ? Sûrement par le fait que Marie soit arménienne et que Louis mangeait des olives lorsque Marie lui a annoncé qu'elle était enceinte. Aussi fou que ça puisse paraître, c'était vrai.

Jacob revint enfin avec mon gros bagage gris et je le remerciai. Nous n'allions pas tarder à prendre la route pour l'aéroport, il fallait que je me dépêche. Je rangeai tout ce que je pouvais dans ma valise et nous étions déjà sur le seuil de la porte à faire nos adieux à notre enfant à nous, Polly. Les au-revoir achevés, c'était enfin le moment. Louis nous emmena à l'aéroport et nous fîmes toutes les modalités avant d'enfin arriver en salle d'embarquement.

Nous étions en avance d'une heure et je décidai d'aller m'acheter un café, pour bien entamer ce long vol.

- Je vais me prendre un café, tu veux quelque chose ? proposai-je à Jacob, concentré dans son téléphone.

- Non, t'inquiète.

Je me dirigeai alors vers le petit coffee shop afin d'assouvir mes besoins. Il n'y avait pas grand monde, à vrai dire, il n'y avait qu'une jeune femme devant moi. Une brune aux cheveux coupés en carré, des lunettes rectangulaires, cachant des yeux bruns très sombres. Elle avait cet air autoritaire et désagréable, le genre à demander à voir le manager lorsque quelque chose lui déplaisait. Moi, qui étudiais les comportements humains, étais certaine de mon diagnostic. Elle n'avait pas l'air facile à vivre. Si elle avait un mari ou autre, elle devait vraiment avoir ce sentiment de vouloir tout contrôler. La marâtre dans Cendrillon, c'était du pipi de chat à côté. Ne vous détrompez pas, mes remarques sont fondées. En effet, lorsque j'arrivai derrière elle, elle piquait un scandale. Apparemment, elle aurait demandé du lait d'amande, et on lui aurait servi du lait d'avoine, madame étant intolérante à l'avoine -et puis qui est intolérant à l'avoine-. Le serveur lui aurait bel et bien assuré que c'était de l'amande, mais la palais de la brune avait l'air si avancé, qu'elle pouvait reconnaître la nature de chaque végétal. Je n'aimais pas le dire, mais quelle chieuse.

J'ai du penser trop fort, car elle se retourna et mon cœur rata sûrement un battement. Elle avait les sourcils froncés et la bouche pincée.

- Pardon ? C'est à moi que vous parlez ?

Je me retournai, feignant de chercher à qui elle s'adressait, mais non, c'est bien à moi qu'elle met la pression.

- Oui, je ne pense pas qu'on n'ait que ça à faire, de savoir si c'est du lait d'amande ou d'avoine. Si vous estimez que ce n'est pas ce que vous avez demandé, contentez-vous d'en commander un autre ou de changer de bar. En attendant, nous avons tous un vol à prendre et ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour se fâcher, dis-je en gardant mon calme.

- Alors, premièrement, vous n'êtes rien ni personne pour me dire ce que je devrais faire, et deuxièmement, si vous avez un vol à prendre, que faites-vous devant un café ? Allez donc vous asseoir, seule, comme vous le méritez.

Mais qu'est-ce qu'elle me raconte celle-là. Je suis loin d'être seule, comparée à elle, enfin, j'espère sinon, je donne tout mon courage à son compagnon de voyage. Finalement, je la laissai parler, elle m'avait coupé l'appétit.

Je retournai m'asseoir près de Jacob et il fut surpris de me voir les mais ballantes.

- Bah, et ton café ?

- Laisse tomber, une femme a tapé son cinéma pour une histoire de lait, j'en avais marre d'attendre.

Il haussa les épaules et je posai ma tête sur son épaule. Il m'embrassa le haut du crâne et poursuivit sa lecture.

- Tu ne la reverras sûrement plus, me rassura-t-il.

- Encore heureux, dis-je en fermant les yeux.

Oui, encore heureux.

Sunset Lover - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant