VIRTUEL (en pause)

07 | Branchement

      À la queue leu leu, les vingt participants quittent la grande salle de réception, la plupart bouche bée. Flick lui-même ne s'attendait pas à ce que son aventure commence de manière aussi anticipée, mais il demeure satisfait de pouvoir s'y mettre tout de suite. Pas même de formation à proprement parler, c'était une bénédiction. Contrairement aux autres, il ne trouvait pas désagréable de pouvoir mettre la main à la pâte aussi tôt.

      Flick est au début de la file, ayant été assis dans le fond. Durant la présentation, il n'avait pas écouté un mot de ce que le producteur avait dit à l'avant. Jana avait occupé ses pensées tout au long, c'est quand même pour elle qu'il est ici aujourd'hui, dans un autre pays, à faire une émission de télé-réalité. Plus il y repense, plus il se demande s'il n'est pas en train de rêver. Ça ne lui va pas de faire ce genre de trucs. Lui qui vivait une vie monotone, que faisait-il sur un plateau de tournage, à deux doigts d'être envoyé dans un monde virtuel sanguinaire pour devenir millionnaire? Il y a quelques mois, il rêvait d'être détective, maintenant la vie lui donnait cette opportunité. C'était absurde.

      Une chose l'avait tiré de sa réflexion profonde lors de la présentation: il a senti qu'on le regardait. Quelqu'un l'inspectait, il ne passait pas inaperçu. Ça commence déjà mal. Il est bien connu que ceux qui ont une cible dans leur dos au premier épisode d'une émission du genre sont les premiers éliminés. Il avait connu de meilleurs débuts.

      Mais qui le regardait au juste?

      La jeune femme asiatique en face de lui, dans la file? L'afro-américain qui parlait swahili dans la première rangée durant l'entracte? Le mec aux airs scandinaves avec des taches de rousseur?

      Il se résigne à trouver de qui il s'agissait, mais se jure de faire plus attention à ses agissements. Arriver le dernier était une erreur de débutant.

      Le peloton s'engage dans un large couloir sombre, où ça et là étaient aménagés des plateaux de télé à la « début années 2000 ». Certains étaient occupés, d'autres achalandés par des équipes qui assemblaient les décors. Des cameramen laissaient traîner de longs fils ça-et-là, ça criait « ACTION » à tue-tête, les acteurs couraient d'un décor à l'autre pour jouer leur scène. Une fois les Enfers passées, le groupe bifurque à droite dans un étroit couloir, lequel comporte une vingtaine de portes. « Votre nom est sur votre porte! » crie l'employé à l'avant de la file.

      Rapidement, comme des atomes passant d'un état solide à gazeux, les participants se mêlent de façon chaotique entre eux, se bousculent et se glissent entre l'un et l'autre. Flick arrive à s'en sortir sans égratignure, se remerciant d'avoir été dans les premiers du rang. Il repère rapidement son nom sur l'une des portes et s'empresse d'y entrer avant qu'on ne le pousse à nouveau.

      La pièce dans lequel il se trouve désormais est spacieuse. Il y trouve un lit, auquel est attaché des équipements médicaux. Il y a un bureau, sur lequel se trouve son contrat signé et d'autres paperasses. Une grande baie vitrée fait entrer la douce lumière du jour et amène une aura de réconfort dans ce qui semble être une chambre d'hôpital dernier cri.

      Au centre de la pièce, une infirmière le salue: « Vous êtes Flick, n'est-ce pas? » Il hoche la tête. « Très bien. Asseyez-vous, je dois procéder à des petites vérifications avant de débuter. »

***

      Trente minutes passent et le jeune homme se doute qu'on lui a menti sur les « petites » vérifications. Enfin, l'infirmière quitte, l'encourage à prendre un peu de temps pour soi avant le branchement.

      Flick se passe la main dans la nuque, monte jusqu'au creux entre cette dernière et sa boîte crânienne et parcoure le petit objet métallique des doigts. Après ces quelques années, il en avait presque oublié sa présence. Contrairement à ceux qui l'avaient entouré à l'école et qui l'entouraient maintenant au travail, il se méfiait de cette technologie. La disquette neuronale avait des avantages phénoménaux sur une multitude de niveaux: grâce à elle, on peut maintenant devenir un as dans n'importe quel sujet, contrôler la radio sans bouger le petit doigt, décoder le langage non-verbal des gens à qui on parle... les possibilités étaient carrément infinies.