02 | Déréliction

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      DÉRÉLICTION (nom féminin): sentiment d'abandon et de solitude morale.

      Jana est réveillée et souriante. Pétillante, même. Flick est à quelques mètres de son lit d'hôpital, dans la pièce d'à côté, séparés par une grande baie vitrée. Le sourire de Jana est contagieux, son frère semble l'avoir attrapé. Dans les moments de silence, la télévision au fond de la pièce agissait de bruit blanc. Un feuilleton de nouvelles matinal réitère plus en détails les nouvelles que Flick avait vu apparaître dans son fil de nouvelles plus tôt.

      Elle et lui parlent de tout et de rien pendant ce qui semble être une éternité. Ces temps-ci, il n'y a qu'avec elle qu'il se sent un peu vivant. Ironique, surtout en considérant que c'est à cause d'elle qu'il sent son monde s'écrouler. En sa compagnie, il retrouvait ce sentiment de légèreté qui l'avait quitté le jour où elle s'était retrouvée ici, incapable de sortir de cette bulle hermétique qui la gardait en vie. Trois semaines depuis que sa condition de santé initiale a fait boule de neige et la voilà, coincée ici.

      On cogne à la porte. Une grande infirmière ouvre et demande un peu du temps de Flick. Il ferme le micro qui lui permettait de parler à sa sœur à-travers la vitre étanche et se tourne vers la femme. Elle secoue la tête: « Vaudrait mieux fermer les rideaux aussi. » Il l'interroge du regard mais s'exécute, quoique perplexe à sa demande. À mesure qu'il abaissait les volets, il sentait qu'une partie de sa légèreté disparaissait. Ça devait être la douce chaleur que projetait la rayonnante Jana sur le sombre Flick. Aussitôt les volets fermés, Flick retrouve son air renfrogné: « C'est à quel sujet?

      - C'est assez délicat, donc je tiens à vous en informer d'abord avant d'en glisser un mot à votre sœur. »

      Elle soupire et porte son calepin à sa cuisse, en quête de la meilleure façon d'aborder le sujet.

      « Depuis qu'elle est ici, votre sœur se porte bien, mais nous avons peur qu'elle fasse une rechute bientôt. Un peu comme à son arrivée. À ce stade, un simple rhume pourrait la tuer. J'ai appelé vos parents pour leur en informer, je sais que ça doit être difficile. » Elle fait une pause pour marquer ses mots: « Il lui faut le nouveau traitement. »

      Flick grimace. Elle tente de se montrer rassurante, mais Flick ne l'écoute plus. Ne veut pas l'écouter. Bien sûr qu'elle a besoin du nouveau traitement, mais qui va payer? Le capitalisme allait s'emparer de sa sœur.

      « Je vais vous laisser à présent. Nous pouvons encore la garder quelques semaines. Courage, M. Watson. »

      Celle qui était entrée infirmière semblait sortir silhouette. Elle avait perdu sa forme sophistiquée, Flick ne distinguait plus ses courbes ni son visage. Il essuya d'un revers de main ses yeux humides et fronça les sourcils. Pourquoi cela lui arrivait-il à lui? Ses muscles se crispent, ses mains s'agitent légèrement, il sent son corps se raidir. Le jeune homme hurle. Hurle de tous ses poumons. A peur de manquer d'air tellement il crie. Il saisit la chaise et, mû d'une force qu'il ne savait posséder, la balance dans le coin opposé de la pièce. Cette dernière heurte le comptoir, duquel quelques verres tombent et se fracassent au sol.

      Flick tombe au sol, fatigué, lassé de devoir se battre contre un démon qu'il ne peut vaincre. Une bête qui s'emparait tranquillement de la seule personne qui compte réellement dans sa vie. Une vicieuse créature qui faisait de ses rêves des cauchemars, qui envahissait ses pensées et qui avait fait de lui une autre personne. On ne le reconnaissait plus à l'école. Au boulot. Ses parents, qui devaient eux aussi s'adapter à la condition qui se détériore de leur cadette, devaient aussi apprendre à apprivoiser le personnage insensible et agressif qu'était devenu Flick depuis le début de cette épreuve.

VIRTUEL (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant