10 | Tous perdants

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      « Flick Watson! » s'exclame l'animateur. Des drones, qui servent de caméras volantes, s'approchent de Flick et captent des segments de son expression désemparée. Merde, ça avait vraiment marché.

      Warren le dévisage. Il a le teint blanc neige, une mâchoire carrée bien découpée et des cheveux noirs de jais. Flick lui reconnait des traits scandinaves. En voyant les drones arriver, Warren change d'expression faciale pour faire semblant d'être bon joueur. Il se relève et offre une main à son adversaire.

      Le norvégien lui envoie un sourire froid et lui serre la main: « Félicitations, » dit-il. Flick regarde la main tendue de son rival, puis rive ses yeux dans les siens. Ils sont d'un gris pâle, une teinte sans chaleur ni réconfort. Il n'a pas envie de lui prendre la main, mais le bourdonnement du drone à proximité le convainc du contraire: il le ferait pour le spectacle. Flick attrape sa main et son adversaire l'aide à se relever.

      À ce moment, la dénommée Marissa fait son entrée sur la plage, elle qui se trouvait aux talons des deux hommes. C'est une grande femme aux traits asiatiques, le teint basané, avec des longs cheveux noirs qui lui descendent jusqu'aux fesses. Elle a un corps rachitique, dépourvu de graisse, elle est forcément mannequin. Son regard est perçant, presque séduisant, mais la rage qui bouillonne présentment en elle ne laisse pas place à quelque romance que ce soit.

      Elle est suivie de près par la concurrente voisine à Flick, une rousse du nom de Amber, qui doit avoir une tête de moins que l'asiatique. Son teint est pâle et ses pommettes constellées de tâches de rousseur. Ses cheveux, même mouillés, ondulent toute en élégance. Elle avait des yeux vert émeraude pétillants. Elle a un regard fuyard en croisant les yeux de Flick, résolument déçue. Personne n'aime être en quatrième place, rejeté du podium de peu.

      En voyant le semblant de camaraderie entre les deux hommes, Marissa s'insurge, tout en tentant de se réapprovisionner en air: « Impo- Impossible! Il a tri- triché! » Elle prend une grande inspiration: « Il a fait le parcours à reculons! »

      L'animateur se rapproche, s'assure que les caméras le suivent pour capter le tout: « Que veux-tu dire?

      - Je dis qu'il — grande respiration — n'a pas respecté les règles. Warren aurait dû gagner. »

      Flick se tourne vers elle, il ne la laisserait pas gâcher sa victoire aussi rapidement. Sa stratégie était parfaitement valable. Il n'avait pas failli se faire tuer pour se faire dire qu'il ne mérite pas sa première place. Il serre les dents. Détends-toi, ne pète pas un câble...

      « C'est n'importe quoi, » rétorque-t-il. « L'objectif était d'accomplir les tâches des trois pôles, ce que j'ai fait. Je l'ai simplement fait à reculons. »

      Il a clairement piqué sa comparse. Quant à l'animateur, il semble fasciné. Il secoue la tête: ce n'est pas assez, il en veut plus pour son audience: « Mais pourquoi? » demande-t-il. Flick hausse les épaules. « Quand j'ai vu les autres participants se battre à la première pôle, je me suis dit que je pourrais y revenir plus tard, quand tout le monde se sera rendu à l'étape suivante. Comme ça je n'ai pas à me battre. »

      Satisfait, l'hôte sourit et enchaîne: « Parlant de se battre... » Les drones tournent vers la mer, où les autres participants revenaient peu à peu sur la berge. Flick les suit des yeux et balaie l'océan du regard, les compte. Sept... dix... quatorze... dix-sept. Il ne comptait que dix-sept candidats.

      Et aucun d'entre eux ne porte de maillot vert lime.

      « Vous étiez vingt, vous êtes désormais dix-sept. Trois ont été éliminés durant ce défi, noyés lors de l'épreuve. »

      Flick qui doutait que le producteur dise vrai lorsqu'il lui a révélé que les participants allaient s'entre-tuer pour gagner, il le croyait désormais à cent pour cent. Les voir se battre sous l'eau n'avait pas suffi — après tout, des gens fâchés, ça se bat — mais personne n'irait jusqu'à tuer quelqu'un pour gagner, pas vrai?

      Pas vrai?

      Il en a désormais la preuve contraire. Autour de lui, on le dévore du regard comme un lion se lèche les babines avant de s'emparer d'une gazelle. Ils aimeraient tant que Flick retourne à l'eau, le temps que l'un d'entre eux se jette à nouveau sur lui pour que sa jauge d'oxygène atteigne zéro.

      On pourrait entendre une mouche voler. 

      C'est à ce moment qu'il prend conscience de son erreur. Il s'était juré plus tôt de passer inaperçu afin de ne pas avoir de cible dans le dos, maintenant il est l'ennemi public numéro un. Fuck. Et ce pour quoi? Pour un indice? Un faible indice qui, au bout du compte, lui coûtera peut-être sa place dans ce jeu?

      Idiot, idiot, idiot...

      Au fond, ils étaient tous perdants. Tous.

      Soudain, le mutisme collectif est interrompu par quelqu'un qui tape des mains. Cette fois, Flick ressent une émotion différente de celle véhiculée par le reste du groupe: il sent qu'on l'applaudit de bon cœur. Pas parce qu'il y a une caméra de baquée sur soi.

      Il lève la tête: Cryo, le sud-africain, lui sourit en poursuivant ses applaudissements. Des quinze autres, il était le seul de ses adversaires qui dégageait un peu d'humilité face à sa défaite. Puis, une vague d'aplaudissements guette la majorité du groupe. Que ce soit pour la caméra ou non, ça reste un beau geste.

      Warren, qui ne dégage toujours rien de bon, lui lance le même regard mauvais en applaudissant froidement. Marissa n'en fait rien. Quant à l'homme blond qui se masse le crâne, une coupure au front, portant un bandeau bleu azur, il toise Flick du regard en gardant ses mains statiques.

      L'hôte reprend le contrôle: « Félicitations Flick! Pour ta victoire, tu remportes un avantage qui t'aidera dans ton enquête... »

      Il sort de sa poche un minuscule parchemin, retenu par une fine boucle rouge. C'est tout? Tout ça pour ça?

      Il le remet à Flick qui, au moment du contact, part en fumée. Son poignet s'illumine, affiche une matrice de carrés qui ressemble à un inventaire. À l'intérieur de l'un de ces carrés, se trouve désormais une vignette du parchemin. Son indice est désormais en lieu sûr.

      Il secoue le poignet: son inventaire disparaît, le projecteur biométrique s'éteint.

      « Très bien, ceci clôt le premier défi. Mais ceci n'est rien comparé à ce qui vous attend, car la clôture de ce défi ne peut signifier qu'une seule chose... »

      Sorti de nulle part, au loin, un coup de feu d'une force spectaculaire retentit. Le son est si fort que les participants se bouchent instinctivement les oreilles. Flick, qui avait fait partie de ce lot, se tourne vers la source du bruit et y voit une large mare d'oiseaux qui s'envole, à quelques kilomètres au nord de la berge, dans la ville. L'animateur croise les bras et se tourne vers la caméra:

      « On vient de commettre un meurtre. »

 »

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VIRTUEL (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant