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  Si la brume glacée de cette fin de mois de juin semble être encore plus dense chaque jour, cela est incomparable face à la peine qui comble mon cœur à l'instant où je fais face à ce portail mythique. Ce grand portail en métal doré et sculpté, au magnifique « R » centré, qui aurait resplendi si le Soleil aurait été des nôtres. Malheureusement, aujourd'hui, je ne peux que compter sur une avalanche de tristesse et de culpabilité pour m'aider à passer le cap. Ça mais également George.

- Alors c'est ici ? dit-il dans un souffle.

  Il m'est inutile de le regarder pour savoir qu'il est impressionné par le lieu.

- Oui, c'est ici, répondis-je dans un murmure.

- Bizarrement, je ne sais pas pour toi, mais la dernière fois, ça m'a paru bien moins incroyable...

- Ça c'est parce que la dernière fois, tu ne l'avais vu que la nuit.

  Parce que la dernière fois que je suis venue ici, que nous sommes venus ici, c'est lorsque l'on disait adieu à Daniel. Ou plutôt, son corps physique. Car son corps Astral - en Esprit, ou plus singulièrement dans la tête des Moldus, en Fantôme - est toujours parmi nous, combien même je ne parviens plus à le voir.

- David a dû être carrément joyeux en vivant ici, non ? me demande George, qui semble avoir hâte de voir l'intérieur du château.

- Il n'est pas le seul...

  Moi-même j'adorais et j'adore toujours cet endroit. Mais, étrangement, je n'arrive pu à y entrer... Pourtant, il le faut ! C'est d'ailleurs bien pour ça que nous sommes là, car repousser leurs funérailles devient trop dur. Je dois aller de l'avant même si, comme David, je n'en ai pas envie. Sauf que pour lui, c'est plus facile ; il a réussi à voir l'Esprit de Daniel une fois depuis ce qu'il s'est passé. Pas celui d'Éléona, ni celui de Sirius, mais c'est déjà un bon point. De ce fait, il a préféré me laisser aller seule au château - je le soupçonne de ne pas vouloir affronter la réalité, je le comprends tout à fait là-dessus. Après tout... Mrs Weasley est ravie de le garder au Terrier avec Indy, le chat que Éléona et Daniel ont adopté il y a deux ans, et Keops, la seule jument de l'écurie du château en raison du manque de temps pour s'occuper d'elle (ce qui va bientôt changer).
  Seulement, ça ne peut plus durer ainsi.
  C'est pour ça que j'inspire profondément en actionnant les deux poignets du portail qui s'ouvre dans un geste délicat.
  Nos pas qui s'en suivent sur l'immense allée cristalline et prismatique ne font aucun bruit. L'endroit est totalement silencieux. Les arbres et le lac derrière la maison ont perdu de leur éclat, les belles lanternes en verre sont éteintes, les haies auparavant parfaitement coupées commencent à être broussailleuses et l'architecture du parc anglais aurait bien besoin d'un peu plus d'entretien.

- C'est dingue, on dirait que tout est triste, fait observer George.

- Comme si que la mort d'Éléona les a marqué eux aussi, je sais... murmurai-je avec peine.

- Mais cette allée est incroyable, on dirait une route arc-en-ciel !

  J'ai un rictus alors qu'on s'approche de la grande fontaine du dragon chinois dorée, situé à quelques mètres des premières marches de l'escalier.

- Oui... D'après ce que m'a dit Éléona, c'est l'énergie prismatique du dôme protecteur qui donne cette couleur particulière à l'allée, expliquai-je. Le dôme protecteur étant alimenté par la source Quantique de nos dons, ce pourquoi malgré la mort de Éléona et Daniel, il fonctionne toujours. Car David et moi sommes encore présents.

- Dément ! s'excame-t-il, les yeux étincelants.

- Si tu veux, je te ferais visiter.

  George hoche vivement la tête. Il ne cesse de tourner sur lui-même, manquant à chaque fois de se dévisser le cou, admirant la beauté du lieu. J'ai été comme lui, au tout début où j'ai vécu ici. Je sais ce qu'il ressent et ce qu'il pense : on a l'impression que cela sort d'un conte de fée...
  Mais c'est lorsque je me retrouve en haut des marches, juste devant la gigantesque double-porte en chêne, que mon corps se retrouve immobilisé, pétrifié, par le choix qui s'offre à moi.
  Entrer et affirmer officiellement que mes parents adoptifs n'y vivront plus jamais ? Ou alors... reculer et attendre encore jusqu'à ce que je devienne cinglée de dépression avancée ?
  Mon cœur se serre douloureusement. Ma main tremble comme une feuille, mes doigts sont aussi givrés que les arbres au mois le plus froid de l'année.

Elementum {Tome 6} [En réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant