03. premiers envois -Céleste

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Une fois la décision prise, la classe fut scindée en plusieurs groupes. Tout de suite, plusieurs élèves se sont rué vers Céleste pour avoir ses ordres.
Plusieurs petits groupes sont allés dans les autres salles chercher des feuilles de brouillon, jusqu'à déranger des classes en plein cours. Les élèves restants dans la pièce attendaient sagement pour créer leur petit signe distinctif.
Au bout d'un quart d'heure, tout était prêt.

Chaque élève avait sur sa table quelques feuilles, certains commençaient déjà à écrire à l'intérieur, heureux d'avoir deux heures d'affilée avec ce professeur. Mais il fallait attendre l'approbation de celui-ci, pour commencer à faire de la pièce un véritable champ de bataille.

Dès qu'il agita la tête, des avions volèrent déjà. Un silence d'or s'installa tout naturellement. Céleste, pour sa part, prit son temps à écrire sur sa feuille.

« Nous nous connaissons peut-être, ou peut-être pas. Mais nous voilà dans une situation où nous ignorons tout l'un de l'autre. J'espère que nous pourrions devenir amis si nous ne le sommes pas déjà. »

Satisfaite de son message, elle dessina alors le signe qu'elle avait choisi plus tôt. Le pliant avec délicatesse, elle le jeta dans le fond. Au même moment, un avion tomba à ses pieds. Céleste sourit, et le prit. Le déposant sur sa table, elle le défit et regarda ce qui était écrit.
Une jolie rose y était dessiné. Elle pensa alors que son interlocuteur était finalement au féminin.

« Belle comme une fleur à peine éclose, mon cœur flamboie quand nos regards l'un à l'autre s'exposent. J'aimerais son cœur un présent qui m'appartienne, mais aurai-je un jour l'audace de lui demander d'être sienne ? »

Une lettre d'amour, un poème , si beau, qu'elle n'en resta pas de marbre. L'adolescente fit un nouvel avion de papier, introduisit celui qu'elle venait de recevoir, et écrit sur le sien :

« Quel beau poème, je doute être celle pour qui il fut écrit, mais j'aimerais beaucoup. Si tu l'aimes tant, tu dois lui dire. Un si beau message ne peut être clôturé par un refus ! »

Finis, elle le lança là où elle crut que le message fut envoyé.

Céleste piocha un des avions autour d'elle, mais le reposa dès qu'elle remarqua que c'était une réponse à un autre projectile.
Elle commença à en écrire un autre qu'un avion lui toucha le dos. Curieuse, elle le prit, et remarqua tout enjouée que c'était la réponse à sa première lettre.
Le signe ressemblait à un dièse.

« Quel joli signe, je présume que tu es une fille qui aime les arts ?
Et oui, devenons amis si ça peut te faire plaisir. Après tout, c'était ce que voulait Céleste. »

La jeune fille sourit, amusée par le message. Elle y répondit immédiatement :

« Quel sexisme de dire qu'un demi-papillon (ce qui est, au final, glauque quand on y pense) et une rose bizarre sont des choses purement féminines ! Je suis, peut-être, un bonhomme qui aime les roses et les moitiés de papillon, qui sait.
Et ce n'est pas parce que mon signe est joli que j'aime les arts, non mais c'est quoi ces clichés ?
Je ne sais pas si j'ai envie d'avoir comme amie une personne telle que toi ! »

Céleste relit son texte, et le lança dans le fond, se retenant de rire par son message absurde de sens. Espérant quand même que son interlocuteur n'allait pas se vexer en le lisant.
Elle alla devant, là où un avion se trouvait tout seul, comme oublié et abandonné.

Le signe était un cœur. Une fille, à coup sûr.

« Salut, comment tu t'appelles ? »

C'était la seule chose écrite en lui, comme si l'écrivaine n'en avait pas la foi, ou ne savait pas comment débuter une conversation. Elle eut du mal à trouver quoi répondre à pareil message.

« Comment je m'appelle... N'est-ce pas une question futile ? Peu importante ? Et si je ne m'appelle pas, je ne suis personne. Mon prénom n'est rien d'autre que des sons mis ensembles et des lettres assemblées. Est-ce si important ? Quand on sait que chaque culture a ses prénoms, ses sons... Mon identité ne réside pas en quelques lettres, en quelques bruits buccaux... Je suis plus que ça, nous sommes tous plus que ça. Il y a tellement d'autres choses qui font de moi quelqu'un d'unique, autres que des lettres et des sons différents. C'est bien quand il y a du monde, mais il n'y a pas foule. Il n'y a que toi, que moi, nos prénoms sont inutiles. Je suis moi et tu es toi, le reste n'importe pas. »

Céleste mit plusieurs minutes à l'écrire, pour l'envoyer aléatoirement dans la salle, espérant qu'il trouve propriétaire. Elle venait de récupérer la réponse de la rose que la cloche sonna. L'adolescente n'eut pas le choix de le ranger dans son sac et de partir avec ses amis, Thomas lui offrant gratuitement son bras.

« Je peux savoir ce que tu fais, là ? Demanda-t-elle atterrée.

- Je t'ai présenté mon bras pour que tu le prennes, ça ne se voit pas ? Il lui tira la langue.

- Tsss... T'es con.

- C'est pour ça qu'on est ami ! »


Quelques secondes de blancs plus tard, il reprit la parole :

«Bon et sinon t'es tombée sur quel type d'énergumène toi ?

- Alors... Une fille à qui j'ai écrit un gros pavé philosophique, un poème, et... une personne... Avec qui la discussion ne sera jamais passionnante.

- Cool.

- Non ce n'est pas cool ! Bon et toi alors ?

- Moi ? Rien. J'ai fait que répondre à des avions perdus. La plupart ne savaient pas du tout comment commencer une conversation.

- C'est triste ça.

- Médisante ! Moi j'ai trouvé ça très rigolo. »

Discussion arrêtée dès que le bâtiment fut traversé.

Le soir-même, Céleste eut la chance de s'octroyer quelques minutes de répit avant l'extinction des feux. Assise en tailleur sur son lit, elle avait l'avion en papier à la rose déposée devant elle.
N'osant pas l'ouvrir, elle hésita quelques minutes.

«Bon et au pire, qu'est-ce que je risque de l'ouvrir. Après tout, il m'est destiné. »

Hésitante, la jeune fille l'ouvrit, et lit attentivement chaque mot écrit en son sein.

« Je suis... Un homme qui sait à qui il parle, à l'écart de tous, mais bourré d'amour pour la belle demoiselle à qui il écrit ce mot. Ne te mens pas, tu sais qui je suis, autant que je sais qui tu es. C'est dans ce bal masqué que j'ose enfin t'offrir ce noble mot : je t'aime.
Tu es la flamme de ma vie, le bonheur de ma solitude, celle pour qui, chaque matin, mon âme est douce-amère. Douce de te revoir, toi, reine si parfaite de ce monde qui ne te mérite pas ; amère de chaque jour qui passe, un jour de moins où j'aurais la chance de te voir pour t'aimer. »

Une main portée à ses lèvres, la jeune fille en eut presque les larmes aux yeux. Des doutes sur son identité persistaient, mais l'homme solitaire dont il se qualifiait lui-même ne lui faisait penser qu'à un seul garçon dans la classe.
Le-malpoli-du-fond, soit Lysandre, soit la personne la plus solitaire de la classe. De longs cheveux ébène et des vêtements sombres au style destroy faisait de lui le bon petit metalleux.
Grand, épaules larges, la peau blanche, quelques taches de rousseur et des yeux extrêmement bleus, il faisait craquer Céleste. Elle en était folle, et seul Thomas fut mis dans la confidence quelques années plus tôt. Mais le garçon a toujours été distant, froid, quelques amis dans son style, metalleux aussi, dans d'autres classes ou d'extérieur, qui intimidaient tout autant Céleste.

Jamais elle n'eut osé lui parler, et cette révélation, dont la provenance était forcément de lui, la rendait terriblement heureuse d'un coup. Son cœur accélérait comme un train qui se lançait, elle ne pouvait pas garder cette révélation pour elle.

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