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Allongé, les genoux relevés et les coudes pliés sous la tête, il attend. Le museau de Voyou apparaît de temps à autre dans son champ de vision et il sourit lorsque ses naseaux s'aventurent dans son cou ou soufflent de l'air chaud sur son visage. Il l'entend mastiquer près de mes oreilles.

Ainsi allongé, Mathieu a conscience qu'il donne une piètre image de la royauté et que si son Père le voyait, il aurait probablement droit à une de ses remontrances sur la tenue attendue d'un futur roi.

Il ferme les yeux.

Pourquoi a-t-il accepté cette mission ? S'il était resté au Palais auprès de Père, il n'aurait pas à patienter, perdu dans une forêt pour une jeune fille qui prend trop à cœur la cause animale. Un instant, il lui vient l'idée de fuir sans eux. Bien que l'idée soit alléchante, il ne bouge pas. Il a promis de ne pas les abandonner, il peut bien attendre quelques minutes.

Il ouvre les yeux et descend son regard sur le corps inerte du Cerf. Sa cage thoracique se relève régulièrement et ses naseaux frémissent à chaque respiration, mais sans ces signes, on pourrait croire qu'ils viennent de l'abattre.

Est-ce vraiment ce que fera son Père ? Tuer cet animal ? Malgré les opinions très arrêtées de ses camarades, il n'en croit pas ses oreilles ; son Père n'a peut-être pas toujours été très doux, mais il est sage et ne souhaite aucun mal aux animaux de son royaume.

Pourtant, le Prince en a conscience, ces quelques phrases sont peu à peu grignotées par le doute.

Un bruissement relève la tête de Voyou, qui tend ses oreilles dans une direction. Le Prince relève la tête. Son corps tremble sous l'effort que cela lui demande dans sa position, alors il place ses coudes sous lui pour s'y appuyer. Son regard inquiet parcourt les arbres devant lui.

— Qu'est-ce qu'il y a mon grand ? murmure-t-il, le cœur battant.

D'une poussée, il s'assoit et se relève. Accroupi, la main sur le poignard habilement caché par son haut, il attend. Un mouvement capte son attention à droite. Il régule sa respiration pour être discret, avant d'avancer lentement, encore accroupi.

Son Père lui a fait passer des heures dans cette position, pour perfectionner sa position d'attente et sa discrétion lors des chasses pendant lesquelles il fallait renvoyer une belle image de la famille royale.

Une couleur vive l'arrête. C'est un animal. Il se rapproche prudemment du buisson avant de se figer. Son regard se pose sur le large dos du Renard. La bile lui monte dans la gorge ; que fait-il là ? Cherche-t-il encore à le tuer ? Le regard inquiet du Prince glisse jusque sur son poignard : cela suffira-t-il pour se défendre ?

Soudain, une voix stoppe ses réflexions. Il la reconnaît. C'est la plus jeune du groupe, l'enfant. Il fait un effort de mémoire avant de se rappeler son prénom ; Edwina. Elle avait déjà rencontré le Renard, seule. Que fait-elle encore ?

Il tend l'oreille, mais les voix ne forment qu'un amas confus de son, sans qu'aucune syllabe ne soit formée. Les mots échangés lui sont inaudibles. Un rictus se forme sur ses lèvres alors qu'il retourne vers sa monture. Il ne restera pas plus longtemps en compagnie d'une possible traîtresse, qui discute avec son présumé agresseur !

Il secoue la tête, se trouvant bien bête d'avoir attendu pendant tout ce temps, alors qu'il aurait déjà dû les lâcher. Il vérifie la solidité de l'attache sur la selle de Voyou avant de l'enfourcher. Il se penche sur son encolure pour lui chuchoter à l'oreille.

— On y va.

D'une pression sur les flancs, sa monture se met en marche, traînant la carcasse du Cerf sans grande difficulté, comme le Prince l'avait dit. Alors qu'ils s'éloignent discrètement et que la joie d'être enfin libéré de cette bande de jeunes Humains incompétents devrait se ressentir, le Prince ne trouve qu'un étrange sentiment qui lui est inconnu ; du regret. 

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant