Chapitre 11

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La discussion que j'ai eue avec Sam ne m'a pas aidée. Bien au contraire. Je passe mon temps à réfléchir, enfermée dans ma chambre. Ma mère ne rentre pas beaucoup, mais je n'ai même plus la force mentale de descendre la saluer lorsqu'elle arrive après le travail. Je ne vais plus à l'école depuis quelques jours, et je reçois de nombreux messages de Jen me demandant de mes nouvelles. Sam est venu me rapporter les cours, mais c'est Lya qui l'a accueilli. Je n'ai pas réussi à trouver la force pour sortir de ma chambre.

Aujourd'hui, c'est le dernier samedi du mois. Ma mère m'a réveillée tôt ce matin pour me préparer. Elle est ministre. Donc nous devons passer la journée au conseil des sorcières. C'est une journée spéciale, où toutes les familles du gouvernement se retrouvent au ministère pour finaliser certaines choses ayant un rapport avec la direction, et le soir, une sorte de fête-le sabbat- est organisée. J'ai toujours apprécié ces moments, puisque c'étaient les seuls où je pouvais rencontrer d'autres sorcières. Mais aujourd'hui, je n'ai pas la tête à ça. Je n'ai pas la force de fêter le sabbat. Toute cette agitation, tout ce monde qui paraît si proche mais qui, en vérité, n'est que superficiel, toute cette illusion de moment partagé en « famille » me donne déjà le tournis.

Je rejoins ma mère dans le salon, habillée de noir, dans ma tenue sabbatique, une robe longue en velour, avec un corsage et des manches évasées. Elle me tend une poignée de poudre de perlimpinpin. Nous prononçons le nom du ministère et nous volatilisons après avoir saupoudré nos têtes.

Nous atterrissons dans la grande allée menant au palais où siège le conseil. De grands cyprès le long de l'allée projettent leur ombre sur les gravillons. Le ciel est un mélange d'orange, de rose et de violet et les nuages ressemblent à des boules coton. Au bout de l'allée se dresse un immense manoir sombre en pierres grises. Une cheminée laisse s'échapper une fumée noirâtre tandis que des bougies sont allumées devant les fenêtres de la Grande Salle de Réunion et laissent entrevoir les occupantes de la demeure. 

 Ma mère entre dans le bâtiment et je me dirige vers le groupe de jeunes sorcières qui attendent comme moi, que la réunion de nos mères prenne fin. Je m'isole sur la branche basse d'un gros arbre à la bordure de la forêt qui entoure le palais, près des tentes où trainent les jeunes sorcières surexcitées. Je m'adosse contre le tronc et les observes, le cœur serré.

Quand j'étais petite, c'était le moment du mois que je préférais. Je rencontrais plein de petites filles comme moi, et je jouais avec elles. Mais je n'ai jamais noué de lien avec elles. Et maintenant je me rends compte de l'illusion que le conseil donne du système. Il donne l'illusion aux sorcières qu'elles sont entourées et aimées auprès de leurs égales, mais ce n'est qu'un moyen pour les garder près d'eux afin de mieux les contrôler. Très peu d'entre nous se rendent compte de ce qu'il se passe réellement. Et cela me révolte.

Je pense longuement à tout ce qui se trame dans ma vie en me demandant comment j'ai fait pour en arriver là, sans réussir à trouver une réponse à aucune de mes questions. Je joue avec une feuille pendouillant devant mes yeux en lui donnant de milliards de formes différentes et soupire avant de fermer les yeux et de m'adosser au tronc de l'arbre.


Entre temps, la nuit est tombée et les premières étoiles s'illuminent dans le ciel qui s'assombrit de plus en plus vite. Les nuances chaudes laissent place à un ciel d'un bleu profond et les nuages se sont dissipés. 

La présidente du conseil, madame Scarta, une vieille sorcière à l'allure stricte et au regard glacé sort la première de manoir. Elle descend les marches de marbre usés par le temps et se dirige vers le Bûcher. Les autres socrières du conseil la suivent. Je rejoins les rangs et me place à côté d'une jeune fille à la peau encore plus pâle que la mienne et aux cheveux d'un noir de jais qui a l'air très heureuse d'assister au Grand Brasier. 

Madame Scarta prononce le rite du sabbat et allume d'un simple signe de la main un grand bûcher devant lequel nous nous tenons.

La fête commence.

Les plus jeunes dansent autour du feu au son d'une musique entraînante et lugubre, d'autres se sont installées aux tables qui ont été disposées sous les tentes afin de discuter et échanger, tandis que d'autres encore se servent au buffet. Néanmoins, je me réinstalle sur ma branche, exténuée par le brouhaha et la musique du sabbat, n'ayant aucune envie de fêter aujourd'hui. Ma mère s'approche.

- Tu vas bien, Mia ?

- Je ne sais pas. Je n'aime pas cette fête.

- Je sais, mais cela fait quelques jours que tu es dans cet état. Et ce n'est pas cette fête qui t'a attristée à ce point.

Je détourne le regard et observe le bûcher dont les longues flammes s'étirent inlassablement et élégamment vers le ciel, comme si elles tentaient de toucher la lune qui s'était dressée au-dessus d'elle et d'embraser les cieux tout entiers.

- On en reparlera quand on rentre. Mais viens maintenant. Madame Scarta risque d'avoir des soupçons si tu restes dans ton coin de la sorte.

Je descends de mon arbre et rejoins le reste des nôtres en essayant de paraître heureuse et présente avec eux. Mais je sais très bien que je ne parviendrai pas à faire croire à mon bonheur. Pas ce soir.

MiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant