Mia

Chapitre 8

L'histoire d'Illéana m'a bouleversée. Je n'ai pas dormi de la nuit. Je n'ai pas cessé de penser à cette pauvre jeune fille qui n'avait rien fait pour mériter sa sentence. Je gis sur mon lit, telle une morte. Les paupières fermées, je relie la situation de cette pauvre jeune fille à la mienne. 

J'ai également risqué beaucoup, la veille avec Sam. Et s'il avait compris que le feu venait de moi et m'avait vue l'éteindre ? Et si ce qui est arrivé à Illéana m'arrivait aussi ? Elle n'y était pour rien. Le conseil des sorcières a été ''indulgent'', en quelque sorte. Il ne l'a condamnée qu'à un simple emprisonnement à vie. 

Je sais que si Sam et Jenny découvrent qui je suis réellement, cela ne se déroulera pas de la même manière. Ils m'exécuteront. J'en suis convaincue. Je suis totalement responsable de la relation que j'entretiens avec eux. Ca serait entièrement ma faute s'il s'avère qu'ils apprennent ma véritable identité. 

Je me demande si cela vaut la peine d'insister, de rester dans cette relation amicale. Ne ferais-je pas mieux de laisser tomber cette idée enfantine et irresponsable ? Ce serait probablement la décision la plus sage à prendre, et pourtant, j'ai l'impression de me tromper lourdement à ce sujet. C'est un peu comme si le danger m'appelait et tentait de me faire croire que c'est ce qui vaut le mieux pour moi, ce qui me promet une vie réussie et heureuse. Mais comment serait-ce possible ? Comment pourrai-je être heureuse en me réveillant chaque matin, sachant que je ne respecte pas la loi ? Comment pourrai-je vivre pleinement en étant incertaine d'échapper à la sentence qui me menacerait jour après jour, sans répit ? Est-ce vraiment une vie que de ne savoir chaque jour ce qu'il adviendra de moi si par hasard quelqu'un découvrait qui je suis réellement ? Qu'est ce que je suis censée faire ? ?

Je suis complètement perdue dans mes réflexions et me laisse sombrer dans le désespoir pendant de longues heures. Dans un mouvement de bascule mécanique, les bras entourant mes jambes, j'ai le regard perdu dans le vide et la tête sur le point d'imploser. J'ai les yeux secs, mais les larmes me piquent les yeux, menaçant de déborder. Ma mère finit par monter me voir.

- Bonjour Mia, elle me dit avant de s'asseoir sur le bord de mon lit.

- Bonjour maman.

Je me redresse et force un sourire. Elle me regarde d'un air attristé. Je sais bien que mes larmes ont séché depuis longtemps, cependant, je suis convaincue que le dilemme auquel je suis confrontée a laissé sa trace dans mon regard éteint et déphasé. Elle ouvre ses bras et je viens m'y lover. Nous restons longtemps ainsi. 

Tout est si calme que je pourrais presque entendre son cœur battre. Je laisse mes yeux se balader dans la pièce qui est ma chambre en dévisageant les derniers cartons qu'il me reste à déballer, les dernières traces du déménagement, pourtant si récent. Mon regard s'attarde sur la photo encadrée de ma mère et moi, placée sur ma table de chevet et je me demande où l'on était au moment où la photo a été prise. Le sourire collé aux lèvres, ma mère observe l'objectif alors que je tente vainement de faire tenir une couronne de pâquerettes sur ma tête à l'aide de mes petites mains à peine potelées d'enfant de cinq ans.

 En revenant doucement à la réalité et au moment présent, je me détache d'elle et la regarde dans les yeux, le doute et l'incertitude emplissant ma tête à nouveau.

- Tu veux en parler ? elle me chuchote.

- Je ne sais pas. Je ne comprends plus rien à ce qui se passe.

Je baisse les yeux et essuie mes paumes moites de stress sur mon pyjama.

- Je ne sais plus quoi faire. Je suis perdue.

Elle m'observe sans rien ajouter, me laissant exprimer tout ce qui attend d'être révélé au fond de moi. Je marque une longue pause et laisse des larmes de désespoir couler lentement sur mes joues.

- Je ne sais plus quoi faire. J'apprécie Sam et Jenny énormément, mais j'ai tellement peur... je ne veux pas me détacher d'eux, ils me rendaient enfin heureuse... j'ai rêvé d'une telle amitié toute ma vie... je ne me sens pas assez forte pour la laisser s'échapper...mais j'ai peur... tellement peur qu'ils découvrent la véritable Mia. Celle qu'ils n'ont jamais connue. Mia le monstre, la sorcière... Et si cela se passe comme pour Illéana ? Et si je n'arrive pas à me protéger suffisamment pour conserver mon secret ? Maman... je suis complètement perdue... aide moi...

Cette fois, c'est un torrent de larmes qui découle de mes yeux. Ma mère pose la main sur mes poignets et soupire :

- Tu n'es pas un monstre Mia. Tu vaux bien plus que cela. Tu es une jeune sorcière aux capacités exceptionnelles, à une intelligence hors du commun et d'une beauté inégalable. Je ne te permets pas de te traiter de monstre. Je te l'interdis, tu m'entends ?

Je baisse les yeux et la laisse continuer

Je ne peux pas t'aider à faire un choix, Mia. Tu dois réussir à te sortir de cette situation par toi-même. Je ne me permettrai pas d'interagir dans ta vie et tes décisions. Tu as grandi, ma chérie. C'est à toi de te rendre compte de ce qu'il faut faire pour te protéger et te rendre heureuse. Je sais qu'en ce moment, c'est difficile pour toi. Tu es jeune, mais déjà presque une adulte, tu n'as pas supporté le déménagement, et ne l'accepte toujours pas, mais tu as rencontré deux êtres exceptionnels ici. La vie n'est jamais toute noire ou tout blanche, Mia. Mais tu as la possibilité d'équilibrer les deux à ta volonté. Tout ce que tu as à faire, c'est de prendre les décisions qui te rendent heureuse sans te mettre en danger. Sinon, rend toi heureuse, mais protège toi. La seule chose que je te demande, c'est de faire attention. Ne laisse personne découvrir notre secret. Je ne supporterais pas te perdre. Si tu n'y arrives pas...nous devrons déménager à nouveau, ma chérie...

Elle se penche pour m'embrasser sur le front avant de me laisser à mes pensées. Je me lève et vais m'asseoir sur le rebord de ma fenêtre. J'observe un rouge-gorge faire le beau devant une hirondelle pour l'impressionner et je soupire. D'un geste du doigt, je crée un souffle de vent pour le faire partir. Je ne veux pas voir ces deux tourtereaux. Ce ne sont peut être que des oiseaux, mais eux sont libres de vivre comme bon leur semble. Si seulement je pouvais être l'une d'entre eux. Plus de décision difficile, plus de secret, seule la liberté. La liberté. Ce à quoi j'aspire depuis ma plus tendre enfance. Le vent frais soulève mes cheveux et je ferme les yeux, laissant mes larmes sécher.

Je reste ainsi pendant de longues heures, jusqu'au coucher du soleil qui teinte les nuages d'une couleur rosée dans le ciel aux teintes orange clair, écoutant, comme lointaine, la douce musique acoustique sur mon enceinte, puis redescend du rebord et ferme la fenêtre. Je ferme les rideaux et me couche sur mon lit. J'ai longuement réfléchi, et je ferme les yeux, laissant la musique m'envahir. Ma décision est prise.