Dès qu'il apprit la nouvelle de ma grossesse, Charles fut d'une prévenance folle à mon égard. J'avais beau lui dire que rien ne pourrait empêcher une seconde fausse couche d'arriver, il surveillait le moindre de mes mouvements, se précipitant dès que je faisais quelque chose qu'il jugeait mauvais pour moi et le bébé. J'avais eu le malheur de laisser traîner un livre médical sur la maternité. Il en avait lu tous les conseils et se faisait désormais un devoir de me les faire appliquer.
J'étais alors ravie d'avoir mon cabinet. Là, je pouvais échapper pendant quelques heures à ses remarques. Plus d'une fois je sortis de la maison en claquant la porte, clamant : "Le livre dit aussi qu'il ne faut pas énerver les femmes enceintes !". Je montais alors sur mon chariot pour rejoindre la ville. Plus tard, je rentrais pour trouver un Charles penaud, qui m'avait cuisiné le dîner ou préparé un coin confortable près du feu. Je réprimais alors un sourire de satisfaction avant de l'embrasser doucement. Je savais qu'il avait les meilleures intentions, et au fond j'étais reconnaissante d'avoir un mari aussi attentif.
Les mois passèrent et mon ventre s'arrondissait de plus en plus, pour le plus grand ravissement de mon amant. Il devenait évident que je ne pourrais bientôt plus effectuer ma tournée de patients. Fort heureusement, j'avais depuis quelques mois un assistant bien utile. Benjamin était le fils de Nelly, qui l'avait eu très jeune avec son époux décédé. Il n'avait que 17 ans mais avait été toujours intéressé par le sujet médical, sans que sa mère ne puisse l'envoyer à l'université. Elle avait toutefois tout fait pour encourager sa passion, lui achetant des livres sur le sujet dès qu'elle le pouvait. J'avais alors décidé de le former, la profession étant bien moins encadrée qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Le jeune homme apprenait vite et fut d'une grande aide tout au long de ma grossesse. Quand voyager jusqu'à mes patients devint trop épuisant, c'est lui qui s'y rendait. Il venait ensuite me faire des comptes rendus, avant de repartir pour appliquer mes directives. Ses journées étaient épuisantes mais il avait l'enthousiasme et l'énergie de la jeunesse.
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L'hiver et son froid glacial revinrent bien vite. Je bravais moins souvent les tempêtes de neige pour aller à mon cabinet, le shérif sachant très bien où venir me chercher en cas de besoin. Coincée à la maison toute la journée, le temps s'écoulait lentement. Aux beaux jours, nous nous occupions souvent à l'extérieur, nous activant sur le ranch ou dans le potager. Parfois, des itinérants s'arrêtaient en ville, nous offrant contre quelques pièces un spectacle ou une séance de cinéma. Mais dès le mois de novembre, notre région devenait plus isolée. Pour nous occuper, nous jouions souvent de la musique, moi au piano, Charles à l'harmonica. Nous lisions beaucoup aussi, échangeant nos livres avec d'autres habitants de la ville.
Mais l'une des activités que j'aimais le plus était d'écrire des lettres. J'écrivais tout d'abord à ma chère Alice. Il aurait été sans doute plus prudent de ne donner notre adresse à personne, mais nous étions au Canada désormais, et nous n'avions toujours pas le téléphone. Je ne pouvais concevoir de ne plus l'avoir dans ma vie. Nous nous écrivions à peu près une fois par mois, je lui confiais tout et elle me donnait ses conseils avisés. Elle avait été d'un grand réconfort après la perte du bébé.
Au début de notre correspondance, elle s'inquiétait de me savoir dans un endroit si reculé du Canada, d'autant plus que je me plaignais souvent de la solitude que j'y ressentais. Moi qui avais connu la frénésie de Chicago, comment pourrais-je supporter cette vie isolée ? Mais une fois mariée, je me fis très vite à mon nouvel environnement. Je n'avais pas besoin de l'atmosphère des métropoles, contrairement à elle qui était devenue une vraie New-Yorkaise.
Elle déplorait souvent que nous ne puissions venir la visiter, elle aurait adoré rencontrer Charles. Mais elle en comprenait les raisons. Elle avait reçu la photo de mariage que je lui avais envoyé. Si elle acceptait la différence de Charles, elle n'était pas sûre de la réaction de ses voisins, et même de son époux, à ce sujet. De toutes les manières, il était trop dangereux pour nous de retourner aux Etats-Unis.
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Outlaws - Une jeunesse Américaine - [Charles Smith x OC]
AventuraLa vieille dame sourit en pensant à son amant depuis longtemps perdu. Ils étaient jeunes, fougueux et plein d'idéaux, à l'aube de ce nouveau monde qui était, malgré eux, déjà présent. Arthur, John, Mary-Beth et tous les autres... Elle se souvenait...