"Quand ces événements commenceront,
Redressez-vous et relevez la tête,
Car votre rédemption approche.''Evangile selon Saint-Luc 21, 28.
Je me souviens de chaque détail de ce jour-là. Le temps était gris et venteux, la pluie menaçait sans jamais commencer. Le vent faisait tomber les dernières feuilles encore présentes dans les arbres. Je me souviens de la lumière grise, maussade, qui entourait le ranch. L'automne était bien là, l'hiver ne tarderait pas. J'étais restée à la maison. Il y avait encore beaucoup à faire avant l'arrivée des mauvais jours, et Benjamin avait toute ma confiance pour gérer le cabinet. Il n'avait qu'à venir me chercher en cas de besoin.
Alors que Charles était dehors à s'occuper des bêtes, je m'activais en cuisine pour mettre en bocaux les derniers fruits que nos arbres nous avaient donné. Je me souviens m'être perdue dans tous ces produits. Et de l'odeur de compote. Des litres et des litres de compote. Nous aurions pu ouvrir notre propre boutique. Près de moi, Alice jouait gentiment avec la nouvelle poupée que son papa venait de lui offrir.
J'étais en plein travail quand j'entendis du bruit au loin. M'essuyant les mains, je sortis sur le porche, m'attendant à voir apparaître d'un instant à l'autre mon assistant ou un habitant venu me chercher pour une urgence. Mais vite je réalisai que ce n'était pas les roues d'une carriole que nous entendions, mais bien une voiture. Personne n'avait de voiture dans la région, seuls quelques rares voyageurs de la grande ville en utilisaient. Bien souvent, des dépositaires de l'autorité.
Charles s'était lui aussi approché. Il se tenait à quelques mètres de moi, en haut de l'allée qui menait à notre maison. Alice était sortie à ma suite, s'accrochant à ma jupe. Elle avait dû sentir notre tension. Quand il réalisa qui arrivait, Charles se tourna calmement vers notre petite fille, lui demandant avec un sourire qui se voulait rassurant de rentrer à l'intérieur de la maison. Je lui caressai la tête alors qu'elle obéissait à son père.
Nous échangeâmes un regard terrible. Des larmes d'angoisses commencèrent à monter mais il se mit à me sourire. Un sourire calme qui m'apaisa immédiatement. Il n'avait pas peur. Alors moi non plus je ne devais pas avoir peur. Sois forte, voilà ce qu'il me disait avec ce visage détendu. J'inspirai profondément et lui souris à mon tour, lui murmurant un énième Je t'aime.
Il aurait dû sortir son canon scié et tirer.
J'aurai dû sortir mon revolver et tirer.
Mais aucun de nous ne bougea. A ce jour, je n'ai toujours aucune idée de ce qui l'a retenu. Peut-être n'était-il tout simplement plus cet homme qui tire le premier. Malgré la douleur et la colère, peut-être voulait-il entendre ce que ce visiteur avait à dire. Quant à moi, je crois que j'étais tétanisée de peur. Peut-être était-ce l'instinct de survie qui avait repris le dessus. Peut-être que de porter la vie m'empêchait d'en ôter une.
Ainsi, nous ne tirâmes pas. A croire que nous avions vraiment réussi à sortir de cette vie de violence et de meurtres. Mais cette transformation importait peu à notre visiteur. Il n'était là que dans un seul but, appliquer la loi, peu importe les circonstances.
Nous nous contentâmes de regarder cette voiture s'arrêter à quelques mètres de nous, violant l'intimité de notre refuge. Deux hommes en descendirent, tandis qu'un troisième resta derrière le volant. Ils restèrent près du véhicule, s'allumant des cigarettes avant d'enfin prendre la parole.
« Ça n'a pas été facile de vous retrouver Mr Smith.
- Agent Ross.
- Figurez-vous que John Marston... Oh, au fait, il est mort, mais vous le savez sûrement déjà. »
Charles s'était tendu à ces mots. Il avait imperceptiblement rapproché sa main de son arme. Je ne respirais plus. J'aurais vendu mon âme pour que ces hommes disparaissent à l'instant.
« Je disais donc, John Marston nous avais affirmé que vous étiez mort. Mais voyez-vous, j'ai eu des doutes. Et puis une histoire incroyable nous est remontée aux oreilles. Avec un peu de persuasion, les langues se sont déliées à Blackwater. La rumeur disait qu'il y avait un homme à Beecher's Hope, mi-noir, mi-indien qui avait fini par partir au Canada. Quelques semaines plus tard, le médecin de la ville, une femme, est elle aussi partie au Canada pour rejoindre son fiancé. Cela ne nous a pas pris longtemps pour faire l'équation. Et après des mois de recherches, nous entendons parler de coups de feu tirés par deux personnes correspondant exactement à votre description. Encore une preuve qu'il n'y a pas de changement possible. Un hors-la-loi sera toujours un hors-la-loi. »
Il se racla la gorge, écrasant sa cigarette consumée sur le sol. Pendant un instant, seul le vent dans les feuilles se fit entendre. Nous étions tous figés, comme posant pour un photographe qui tardait à activer son appareil.
« Enfin bref. Vous êtes le dernier Monsieur Smith. Le dernier de cette bande de dégénérés. C'est une ère nouvelle, nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir des hors-la-loi en liberté. Même reconvertis en paysans. Même vivant à nos frontières. »
Une nouvelle bourrasque de vent surpris l'agent, le faisant jurer. Il n'appréciait de toute évidence pas la rudesse de nos contrées. Il détourna son regard de nous, se tournant vers son adjoint.
« Nous avons perdu assez de temps dans ce trou. Finissons-en, Monsieur Howard. »
A ces mots, l'homme leva son arme. Charles fit de même. Tout se joua en une poignée de secondes.
Bang
Bang
Bang
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Outlaws - Une jeunesse Américaine - [Charles Smith x OC]
AventureLa vieille dame sourit en pensant à son amant depuis longtemps perdu. Ils étaient jeunes, fougueux et plein d'idéaux, à l'aube de ce nouveau monde qui était, malgré eux, déjà présent. Arthur, John, Mary-Beth et tous les autres... Elle se souvenait...