CHAPITRE HUIT

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La montagne se dressait devant moi. Elle revêtait son manteau de satin lisse, et le ciel bleu venait caresser ses cols. Ensuite, il y avait sa forêt où à travers les aiguilles des pins le vent jouait sa mélodie funèbre et tumultueuse. Bien que le ciel fut bleu en ce début d'après midi, l'épais brouillard ne dévoilait que la cime de ses grands arbres, un voile pudique qui semblait renfermé de nombreux secrets.

Les quelques skieurs dévalaient la pente abrute puis la remontaient par le télésiège. Comme coincés dans un manège infini, condamnés à réaliser cette boucle macabre, pantins articulés pour le restant de leur vie. Faux sourires épinglés au visage.

Comme s'ils faisaient seulement partie du décors.

Qu'ils n'étaient pas vraiment là.

Cet endroit semblait hors du temps.

Un cri aigüe me réveilla de ma torpeur. Je tournai la tête vers l'enfant qui venait de tomber de sa luge, les mains et les genoux enfoncés dans la poudreuse. Il était bientôt treize heure et j'étais là, adossé au local de rangements, les mains dans les poches, la tête rentrée dans le col de mon Bombers et le tint rougi par les griffures du vent. En fait j'étais resté des heures ici, refusant de rentrer au chalet.

Je n'en pouvait plus des mensonges, des non-dits déguisés en protection et bienveillance. Je voulais rester loin d'eux encore un peu. Et l'air de la montagne bien qu'envahissant me rendait paradoxalement calme.

La petite fille se releva, grimaçant à cause de la neige qui s'était infiltrée dans son cou, sous son écharpe rose. Et puis elle offrit un sourire radieux à ses parents, s'empressant de les rejoindre en tirant sa luge derrière elle.

- Tu as vu la cascade que j'ai faite papa ! s'extasia-t-elle en bafouillant, j'allais super méga vite, et puis paf ! je suis tombée dans la neige !

- Tu devrais faire plus attention chérie. S'inquiéta la mère. Si tu va trop vite tu...

Je détournai le regard, leurs exclamations de joie ne devenant qu'un bourdonnement sans mots, lointain, qu'on écoutait distraitement. Je me détestais de les envier ainsi, ils avaient l'air tellement heureux et ça me donnait la gerbe. À m'entendre je paraissais à un adolescent cliché dans sa période émo qui repoussait toutes marques d'amour en tirant la langue. Mais en réalité c'était tout ce que j'espérais.

Quand était-ce, la dernière fois que tout avait été si simple et joyeux ? où nous étions une famille unie ? Je n'étais même plus certain que nous l'avions été un jour. C'était si loin désormais. Comme des souvenirs qui n'avaient jamais existés.

Ils ne reviendront jamais. C'est fini. Pour de bon.

Et bordel que c'était dur de dire adieux a tout ça.

Je ne pouvais m'empêcher de repenser à mon père, à la nouvelle vie qu'il s'apprêtait de débuter avec Joyce. Sans nous. Comme si Maman, Junghyun et moi n'avions jamais existes. Les paupières closes pour retenir mon émotion, je déglutis, tentant d'humidifier ma gorge sèche. Le sentiment d'abandon était le plus dévastateur.

Il me rendait si faible.

- Hé toi, tu bouches le passage !

La voix enfantine m'arracha à mon esprit et par la même occasion, un sursaut plutôt ridicule. Je me concentrai sur ce garçon d'une dizaine d'années, skis en main ; il lui manquait les deux dents de devant. Pas de doute ; il était bien le fils d'Anna.

- Tu pourrais dire « s'il te plait » et « pardon ». On ne t'apprends pas la politesse à l'école ? rétorquai-je l'œil mauvais.

Il replaça correctement ses skis qui manquaient de dégringoler de ses épaules frêles, tout en me dévisageant les lèvres retroussées.

𝐃𝐄𝐍 𝐃Ø𝐃𝐄𝐋𝐈𝐆𝐄 kth;jjkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant