Boss Games [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]

Chapitre 5.2

Plus tard dans la soirée, j’observe Grace prendre la commande d’un jeune couple d’une trentaine d’année, c’est la première fois que je les vois ici, et d’après la crispation du visage de la jeune serveuse, ils n’ont pas dû comprendre les règles citées par Ethan lors de leur arrivé.

Ils semblent insistants et retiennent à plusieurs reprise Grace qui s’apprête à rejoindre le bar. Je la vois leur répondre avec un sourire forcé, les traits contrariés. Je jette un coup d’œil à Ethan, derrière le bar, qui observe également la scène d’un œil soucieux. Pourtant, notre nouvelle serveuse semble enfin être parvenue à se débarrasser de ces clients peu consciencieux du règlement du club.

Alors qu’elle tourne les talons, la main de l’homme s’enroule autour du poignet de Grace qui la tire brusquement en arrière. Heureusement que son plateau est vide, elle aurait tout renversé dans un fracas sans nom. Cette fois, son sourire a déserté et son regard se fait plus dur.

Je quitte mon bureau et descends sans plus attendre les quelques marches qui me sépare de la salle principale et rejoins la table des clients. Etant dans le dos de Grace, cette dernière ne me remarque pas et le client, bien trop occupé à observer sa poitrine, non plus. Sa compagne, quant à elle, fuit la scène et garde le regard baissé sur ses mains jointes sous la table.

— Tu es certaine de ne pas vouloir rester ? lui demande l’homme. Nous pourrions nous amuser. On peut aussi se rejoindre après ton service, nous t’attendrons dehors à la fermeture.

— Vous faites erreur Monsieur, je ne suis pas une cliente. Votre proposition est plus gênante que tentante. Cependant, si cette réponse vous pose une difficulté, je vous invite à prendre contact avec Le Directeur du club afin d’en échanger directement avec lui. Je vous demande de me lâcher. Maintenant.

L’homme n’écoute pas les remarques de Grace et semble même resserrer sa prise autour de son poignet. Son visage se  crispe sous la douleur. Je pose ma main sur l’épaule de la serveuse et un regard noir sur l’homme qui relève enfin les yeux vers moi.

— Il y a un problème ?

— De quoi je me mêle ? crache-t-il, je parle avec la demoiselle.

— Qui, elle, aimerait bien retourner travailler, rétorque Grace en se tournant vers moi.

L’homme relâche son poignet sans l’avoir tordu une énième fois, en marmonnant une insulte à son égard. Grace écarquille les yeux, outrée. Ne supportant pas ce genre de comportement, j’invite Grace à reprendre son service et me penche vers cet être ignoble sans le moindre respect pour la gente féminine.

— En dehors du règlement que vous avez implicitement accepté en ayant été installé à cette table, qui vous interdit formellement d’importuner, de racoler ou encore d’inviter une de mes serveuses à pratiquer le libertinage, je tiens à vous rappeler que lorsqu’une femme dit « non », la traduction exacte est « non », pas un « peut-être » encore moins un « oui ».

Je crache ces mots avec haine le regard dur, la mâchoire contractée. Je ne comprendrais jamais ces hommes, incapable de comprendre la signification d’un refus, ces ordures qui s’approprient le corps d’une femme comme s’il s’agissait du leur. Prenant tous, ne laissant rien. Il me donne envie de vomir.

— Maintenant, je vais vous demander de quitter mon établissement avant que je ne contacte les forces de l’ordre.

Ou que je ne m’en charge moi-même.

Il perd rapidement son sourire suffisant et après un bataille de regards, il attrape la main de la jeune femme qui l’accompagne et quitte le club, sans un mot, seulement en levant le majeur. Je rejoins Grace et Ethan au bar, ce dernier a posé une poche de glaçon sur son poignet rougi par les doigts insistant de l’homme.
Elle plante son regard dans le mien, affichant un semblant de sourire de contenance. Ses yeux, durs et froids, en disent long sur sa façon de penser, la crispation à peine masquée de sa mâchoire également.

— Merci.

— C’est normal, Grace. Il me semble que j’avais été clair à ce sujet, nos employés sont plus importants que quelques clients sans valeur ni morale, incapables de se tenir..

Un léger sourire amusé se dessine sur ses fines lèvres alors qu’elle maintient sa poche de glace sur son poignet. Elle détourne le regard, fouillant la salle, certainement à la recherche d’une pancarte verte, aucune n’est agitée, nos clients étant bien trop occupés à observer Sun – son nom de scène – danser avec élégance et sensualité.

— Pourquoi avoir ouvert Luxure ? demande Grace, le regard curieux.

Ethan se tourne vers moi, amusé. Je m’installe sur le tabouret au côté de Grace alors que mon associé se penche sur le bar, sans quitter son sourire égayé.

— Pour faire chier les parents de Gabriel, bien évidemment ! Attends, tu imagines ? Ouvrir un club échangiste quand tu t’appelles Gabriel Miller ? La honte !

Grace ne peut se retenir de rire. En effet, Ethan a fait une synthèse plutôt juste. A un moment de ma vie, j’ai eu besoin d’air, mes parents me maintenaient sous pression, et je voulais leur rendre la monnaie de leur pièce. Quitte à tout perdre, autant le faire avec classe.

Et ce fut un franc succès. J’ai bien cru que ma mère allait faire un arrêt cardiaque lorsqu’elle a appris mon projet d’ouvrir Luxure. Quant à mon père, il m’a carrément déshérité. Aujourd’hui, nos rapports sont moins complexes, mais mon coup de gueule a clairement fonctionné.

— Et puis, le libertinage est quelque chose qui se pratique plus que ce qu’on peut imaginer, tu sais ? poursuivis-je. En réalité, la fidélité est un concept relativement récent, inventé qui plus est. Lorsqu’un couple parvient à se mettre d’accord afin de partager un moment charnel avec un autre couple, alors il leurs faut bien trouver un partenaire, tu me suis ?

Elle hoche la tête. J’apprécie le fait qu’elle semble intéressée par mes explications. En général, nous embauchons des étudiantes qui, puisqu’elle ne compte pas finir leurs vie serveuse au Luxure, se fiche éperdument du pourquoi du comment. La plupart du temps, si elles s’intéressent au club, c’est pour, indirectement, apprendre à nous connaître, Ethan ou moi.