Chapitre 4 : Jamais deux sans trois.

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Paul

***

Je suis peu impressionnable. Voire pas du tout. Me faire peur a toujours été le grand défi de notre joyeuse bande, et plus particulièrement, celui d'Ali. Ce qui est ironique quand on sait — comme moi — qu'il n'y a que ma sœur qui me fasse réellement peur et que celle-ci ne s'en est jamais rendu compte. Il n'y a que ma sœur... Et mes amis. Ou plutôt, l'éventualité de les perdre.

Aussi ne suis-je pas surpris du choix d'Aliénor qui lance des œillades presque fascinées au manoir hantée et à son train fantôme. Un regard presque énamouré. Si elle regardait ainsi les garçons, nul doute qu'ils auraient tous cédé à ses charmes. Si Eden est une sorcière, alors Ali est une sirène. Et pas de celles qui chantent gentiment au clair de lune. Je parle des monstres marins terribles et flippants dont ma sœur nous a parlé une fois, lors d'une soirée halloween simplement pour faire peur aux autres. Ce qui avait fonctionné puisque Iris s'était levée d'un bon et nous avait quittés, partant se cacher dans la cuisine, rapidement rejointe par Mathieu.

Ma jumelle adore tout ce qui peut la faire frissonner. Si je ne ressens rien face à la peur, Ali, elle, en est diablement amusée. L'angoisse la rend euphorique : elle en rit à se tordre en deux, à ne plus pouvoir respirer, à en avoir un point de côté. Je me rappelle d'une fois où nous sommes allés voir un film d'horreur tout juste sorti au cinéma. Lorsque tout le monde a sursauté et hurlé, elle est partie dans un tel fou-rire que nous avions dû quitter la salle parce qu'elle ne parvenait pas à s'arrêter et risquait de mourir de suffocation. Son visage était si rouge que j'ai cru un instant devoir appeler le SAMU. Heureusement, la soirée s'était finie dans un terrain vague abandonné à manger le pop-corn qui nous restait et à jouer aux devinettes. Ali a gagné. Ali gagne toujours.

Pour clore ce trio insolite, il y a Pierre. Pierre est terrorisé au moindre signe suspect, au moindre grincement de la nuit. C'est le genre de garçon à vouloir passer par les ruelles sombres et délabrées et à hurler et sursauter dès qu'il lui semble voir une ombre bouger. Un grand enfant en somme, à la recherche du frisson sans pourtant pouvoir le supporter. Il ne fait que tester encore et encore ses limites.

Ce qui me donne de superbes occasions de me foutre de lui. Le petit rouquin surexcité regarde paisiblement l'attraction. Ce n'est qu'une façade. Au plus profond de lui-même, il appréhende déjà ce qui risque de lui tomber dessus. Je le remarque à son soudain silence. Un Pierre qui se tait est un Pierre inquiet !

Je fourre les mains dans mes poches tandis que nous avançons vers la longue queue.
Un enfant me regarde, ouvrant de grands yeux presque effrayé par ma forte carrure. Il se colle à sa mère, sûrement impressionné. La main d'Ali se glisse sous mon sweat pour me pincer. Je retiens une grimace en sentant ses ongles pénétrer dans la chair de mes hanches. "Aies l'air plus affable" semble-t-elle me communiquer. Je tente alors de sourire. Ça n'a clairement pas l'effet escompté puisque l'enfant explose en sanglot bruyant et que sa mère le serre contre elle me fusillant du regard. D'ailleurs ce n'est pas la seule. De nombreux autres clients me jettent un drôle de regard. Je crois même en entendre un râler à propos de cette jeunesse irrespectueuse et irresponsable.
Je hausse des épaules sous les éclats de rire de Pierre. Quel genre de parent emmène son môme de six ans dans un train fantôme ? Il ne faut vraiment pas aimer ses gosses pour faire ça. C'est un coup à les traumatiser pour le restant de leurs jours. Ou à les voir mourir d'une crise cardiaque.

En voyant un des acteurs habillé entièrement en noir, maquillé de blanc, censé sûrement représenter un vampire, entrer par une porte à l'arrière du manoir, le rouquin ricane en se tournant vers nous :

— À vous deux vous auriez tout à fait votre place en tant que figurants dans cette attraction. Grâce à vous, ils se verraient sûrement décerner la médaille du train fantôme le plus effrayant d'Europe !

À nos joies !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant