Chapitre 11. Le passage des cyclones.

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Aliénor

***

Il suffit d'un ouragan pour balayer une vie et causer des dégâts irrémédiables. Certains peuvent ressembler à d'immenses tempêtes prêtes à tout balayer et tout détruire. De géantes bourrasques sans pitié qui déracinent les arbres, font s'envoler les tuiles des maisons et tomber les panneaux publicitaires. Les autres se dissimulent sous l'apparence de petites brises qui viennent limer petit à petit la montagne jusqu'à la détruire.

Des petites brises, il y en a tout le temps, partout, pour toutes sortes de raisons. Comme celle qui souffle désormais au sein de notre trio. Personne ne la voit, personne ne l'entend, personne ne la sent. Ni Paul qui sirote son soda avec calme, ni Pierre qui déblatère à haute-voix sur ses dix sauces préférées. Mais la brise est là, je la ressens, contre mon cœur, contre mon corps, contre ma peau. Elle nous menace, siffle à nos oreilles et se moque de nous. Parce qu'elle nous lime déjà. Parce qu'elle finira par avoir raison de nous. Un jour ou l'autre...

Je ne sais pas si les autres membres de la bande des cornichons s'en sont rendu compte. J'ai déjà surpris les attentions d'Eden, elle qui paraît insensible aux autres au premier abord, pour éviter les frictions. Les gestes de réconforts, les blagues lancées à la va vite. Peu importe les soucis que nous avons, nous tentons de les enterrer avant qu'ils ne jaillissent au grand jour. Parfois, je me demande si nous ne devrions pas laisser l'orage éclater et le tonnerre résonner. Au moins, les choses seraient remises à plat. Jouer les autruches n'est pas forcément la meilleure solution du monde. Pourtant, nous sommes tous terriblement doués à ce jeu. Nous sommes tellement habitué à nous y prêter que changer les choses parait parfois... impossible.

Pourtant, s'il y a bien une chose que les Disney et les films d'horreur m'ont appris c'est que rien n'est vraiment impossible...

Mes pensées s'envolent vers mes amis, et je me demande comment se passe cette soirée pour eux. La fête foraine a-t-elle aussi eu sur leur cœur cet étrange effet qu'elle a su moi ? Comme si tout pouvait arriver... Absolument tout !

Le pire comme le meilleur. Et parfois, les deux en même temps.

La voix du rouquin devient stridente lorsqu'il s'exclame, me tirant de ma rêverie :

— Je te dis que la meilleur sauce c'est ketchup!

— N'importe quoi, barbecue.

— T'as aucun goût Paul...

— C'est le gamin de douze ans qui me parle ?

— Je préfère être un gamin de douze ans qu'un vampire au cœur de pierre.

Paul et Pierre enchaînent leurs piques avec un naturel désarmant, débattant quant à la meilleure sauce qui conviendrait pour accompagner leurs frites bien grasses. Chacun possède un paquet bien garnis, celui du rouquin étant encore plus gros que celui de mon jumeau. Leur débat me semble futile et rien qu'à imaginer le goût des deux sauces, je grimace, retenant un haut le cœur.

— Au moins, j'ai l'âge légal pour boire moi, nargue Paul. Ce qui n'est toujours pas ton cas Monsieur-je-me-fais-recaler-à-l'entrée-des-boîtes-de-nuit !

Cette allusion à une anecdote de l'année passée offusque Pierre qui rétorque aussitôt :

— Vieux papi !

— Bébé.

Mon regard se perd sur leur nourriture. Le parfum gras de friture que celle-ci dégage me parvient, et réveille mon estomac qui pousse un gargouillement digne du mugissement d'un ogre. Comme s'il n'attendait que ça, Paul déporte aussitôt son attention sur moi, délaissant ses sauces — dommage, ce sujet était bien plus intéressant — ses yeux d'un gris profond me transperçant. Je reste tétanisée face à ce regard, le même que le mien, le même que celui qui me juge chaque jour devant la glace. Le même que celui qui m'impose de terribles horreurs. Et pourtant, il est différent. Parce qu'il me regarde avec crainte, avec amour. Et, comble de la différence, il m'ordonne, de concert avec la voix de mon frère :

À nos joies !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant