Eden
***
J'essaie de maintenir l'ébullition de mes sentiments en-dessous de cent degrés Celsius. Lila n'a rien à voir avec ma colère, avec ma rancœur, avec Raphaël. Mais elle se sent concernée. Obligée de me comprendre. Lila oublie que tout le monde n'est pas comme elle. Ou qu'elle n'est pas comme tout le monde. Quand elle a demandé six centimes à la dame de la queue du stand de tir, elle a agi comme s'il était tout à fait normal de demander de l'argent à des inconnus.
J'essaie de me contrôler, de ne pas déchaîner ma colère sur elle. Ce n'est pas qu'elle n'est pas capable d'encaisser, de recevoir cette rage, mon mépris, mais c'est que je ne veux pas la lui envoyer. Je ne veux pas anéantir sa bonne humeur, sa folie, je ne veux pas interrompre le tourbillonnement de ses mèches bleues. Bref, je ne veux pas que sa planète arrête de tourner à cause de moi. Plutôt qu'elle tourne avec moi. Pour redonner un peu d'éclat à ses yeux qui semblent se perdre dans ce que j'appellerai l'océan du point d'interrogation.
— Un peu de soleil serait le bienvenu pour faire sécher mes chaussures, fais-je remarquer à Lila.
— Mais ça, c'est parce que mes cheveux sont trop long... S'ils n'avaient pas été devant mes yeux, j'aurais pu un peu mieux voir si ta main avait attrapé la gourde... Il faudrait que j'aille me faire couper les cheveux un jour !
— Je peux te faire ça quand tu veux !
— Oh oui ! Enfin, quand je serai prête à m'en séparer...
Lila ne sait absolument pas dans quoi elle s'engage. Je ne sais pas m'occuper des cheveux des autres. Pour ce qui est des miens, je ne me débrouille pas trop mal. Cependant, comme tous les petits enfants, j'ai essayé de couper moi-même mes cheveux... Les résultats étaient catastrophiques.
— Pfffff, c'est looooong d'attendre...
Lila ne jure que par Disney, mange des céréales composées à quatre-vingt-cinq pourcent de sucre le matin, se pose toutes les questions possibles et imaginables, dessine des bonshommes-bâtons, elle rêvasse en permanence et se plaint quand « c'est trop long ». C'est une véritable enfant. Parfois je me demande comment je fais pour l'aimer autant.
La tension générée par ma colère baisse progressivement. Je ne sais pas si c'est le temps et la distance qui me séparent de Raphaël qui m'apaisent, ou si « l'effet Lila » est en cause. « L'effet Lila », c'est une vague de folie, de tendresse, du bazar, d'un n'importe quoi ordonné qui concentre toutes les bonnes ondes du monde.
— Dis, Eden, à propos de Raphaël...
Je me tais, en espérant que Lila ne finisse pas sa phrase, découragée par mon absence de réponse.
— Eden, tu vas m'expliquer ce qu'il s'est passé ?
— Bah, pas grand-chose.
— Pendant que tu attends que j'oublie ce que tu as dit à Raphaël et que j'attends que tu m'expliques, on pourrait... jouer à un jeu, me propose Lila, sur son ton enjoué que vous connaissez.
— Tu connais quoi comme jeu à faire dans la queue d'une grande roue ?
— Bin... Je pense à un mot, n'importe lequel et tu dois me poser des questions pour la deviner.
Lila et ses jeux d'enfants... Mais je ne peux pas m'empêcher d'accepter, dans l'espérance que Lila laisse la « question Raphaël » en suspens. Lila commence à réfléchir au mot que je devrai deviner. Le coin de ses yeux brille de malice.
— C'est bon, j'ai trouvé, m'annonce-t-elle, fièrement.
— Donc là, je te pose des questions et tu réponds pas « oui » ou par « non » ?
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À nos joies !
Short StorySept amis, Sept récits, Tous unis Cette nuit. La sublime garce, l'exubérante rejetée, le clown charmeur, l'artiste malin, la gentille timide, le brun ténébreux et la gothique complexée. Tel est le groupe atypique que vous pourrez rencontrer ce soir...